Mardi, les deux premiers accusés du procès des huit adultes impliqués dans l’assassinat du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty ont été entendus à Paris. Azim Epsirkhanov, 23 ans, jeune Russe d’origine tchétchène, et Naïm Boudaoud, 22 ans, ont tous deux contesté les faits qui leur sont reprochés, à savoir leur complicité dans cet acte odieux.
Pourtant, ces deux amis proches du tueur Abdoullakh Anzorov sont les seuls accusés poursuivis pour complicité d’assassinat, un crime passible de la réclusion criminelle à perpétuité. Les six autres accusés, dont trois comparaissent libres sous contrôle judiciaire, sont quant à eux poursuivis pour participation à une association de malfaiteurs terroriste, un crime passible de 30 ans de réclusion.
Des Accusés Aux Parcours Tourmentés
Les auditions de cette première journée, centrées sur la personnalité des accusés plus que sur les faits, ont permis de lever le voile sur leurs parcours de vie. Azim Epsirkhanov, arrivé en France à l’âge de 10 ans avec sa famille ayant fui la Tchétchénie, se présente comme un jeune homme intégré, voyant la France comme son «pays-mère». Pourtant, l’enquête révèle le tabou entourant l’enlèvement de son père en Tchétchénie, un épisode traumatisant pour la famille.
Naïm Boudaoud, natif d’Évreux et issu d’un milieu plutôt favorisé, entretenait une relation de «donnant-donnant» avec Epsirkhanov selon les enquêteurs. Le premier protégeait le second, qui en retour l’aidait dans sa précarité. C’est d’ailleurs Boudaoud qui a conduit Anzorov et Epsirkhanov à Rouen la veille de l’attentat pour acheter un couteau, soi-disant destiné au grand-père du tueur.
La Radicalisation D’Anzorov Au Cœur Des Interrogations
Si les deux accusés affirment avoir ignoré les intentions meurtrières d’Anzorov, ils admettent néanmoins avoir noté un changement dans son attitude environ un an avant l’attentat. Epsirkhanov assure cependant n’avoir «jamais pensé qu’il se radicalisait», tandis que Boudaoud confesse avoir pris ce changement «à la rigolade», Anzorov interdisant de parler de filles, de relations sexuelles, d’alcool ou de sorties.
Cette première journée d’audience, perturbée par la blessure d’un accusé au dépôt du palais de justice, laisse encore de nombreuses questions en suspens. Le procès, qui doit se tenir jusqu’au 20 décembre, devra faire la lumière sur le degré d’implication de chacun dans cet acte terroriste qui a profondément choqué la France. La parole sera donnée aux parties civiles le 20 novembre afin qu’elles puissent exprimer leur douleur et leur quête de vérité.
Un Procès Sous Haute Tension
Au-delà de la détermination des responsabilités individuelles, ce procès est aussi celui de la lutte contre le terrorisme et la radicalisation. Il devra notamment éclairer les mécanismes ayant conduit un jeune homme comme Anzorov à basculer dans une idéologie mortifère au point de commettre l’irréparable.
Les avocats des différentes parties auront à cœur de faire valoir les intérêts de leurs clients dans ce dossier sensible. La défense tentera de démontrer que les accusés n’avaient pas connaissance des projets d’Anzorov, tandis que les parties civiles et l’accusation s’efforceront de prouver leur implication, à des degrés divers, dans la préparation de l’attentat.
Au fil des audiences, c’est aussi le rôle de l’école et la place des enseignants dans notre société qui seront interrogés. L’assassinat de Samuel Paty, victime d’une campagne de haine et de désinformation pour avoir montré des caricatures de Mahomet dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression, avait suscité une vive émotion et une grande mobilisation dans le pays.
Hommage Et Leçons À Tirer
Au-delà de l’enceinte du palais de justice, ce procès est aussi l’occasion de rendre hommage à Samuel Paty, un professeur investi et passionné, victime de son engagement pour transmettre les valeurs de la République. Sa famille et ses proches attendent de ce procès qu’il fasse toute la lumière sur les circonstances de son assassinat et qu’il permette d’en tirer toutes les leçons pour l’avenir.
Car c’est bien l’avenir de notre modèle éducatif et de notre vivre-ensemble qui est en jeu. Face à la montée des obscurantismes et des tentations communautaristes, l’école doit plus que jamais affirmer son rôle de creuset républicain, de lieu d’apprentissage de l’esprit critique et de la tolérance.
Les enseignants, en première ligne face à ces défis, doivent pouvoir exercer leur mission sereinement, sans avoir à craindre pour leur vie. C’est tout le sens des nombreux hommages rendus à Samuel Paty depuis son assassinat, et des initiatives lancées pour perpétuer son message de liberté et de transmission.
Ce procès historique, au-delà de la nécessaire sanction des coupables, devra contribuer à renforcer la prise de conscience collective face à la menace terroriste et à la radicalisation. Il devra aussi rappeler les valeurs fondamentales qui nous unissent et que Samuel Paty incarnait avec passion et conviction. Car c’est en restant fidèles à ces valeurs que nous pourrons, ensemble, construire une société plus apaisée et plus éclairée.