Le 28 septembre 2009 reste gravé dans la mémoire collective guinéenne comme une journée noire, un moment où la violence d’État a franchi toutes les limites imaginables. Dans un stade de Conakry censé accueillir un rassemblement pacifique de l’opposition, des forces de sécurité ont ouvert le feu, tué, mutilé et violé. Près de seize ans plus tard, la quête de justice continue, avec l’ouverture d’un nouveau procès qui rappelle que certaines plaies ne se referment pas facilement.
Un Second Procès pour Clore le Dossier du Massacre
Ce jeudi matin, à Conakry, un tribunal a accueilli un nouveau chapitre judiciaire lié aux événements tragiques de 2009. Sept personnes sont désormais sur le banc des accusés, poursuivies pour leur implication présumée dans ce qui est considéré comme l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire récente de la Guinée. Trois d’entre elles sont en fuite, tandis que les autres ont été conduites sous forte escorte jusqu’au palais de justice.
Ce procès fait suite à une première audience historique qui a duré près de deux années. À son issue, plusieurs hauts responsables de l’époque ont été condamnés pour crimes contre l’humanité. L’ancien chef de la junte avait écopé de vingt ans de prison avant de bénéficier d’une grâce présidentielle quelques mois plus tard. D’autres accusés avaient reçu des peines allant jusqu’à la perpétuité.
Aujourd’hui, l’attention se porte sur ce second groupe, composé notamment d’officiers et de militaires. Leur comparution montre que les autorités judiciaires entendent poursuivre l’effort de vérité et de responsabilité, même des années après les faits.
Qui Sont les Sept Accusés ?
Parmi les prévenus figure le colonel Bienvenu Lamah, officier de gendarmerie incarcéré depuis plus de deux ans. Il est poursuivi pour de multiples chefs d’accusation graves : abus d’autorité, meurtre, viol, torture. Son arrivée au tribunal, entourée d’un impressionnant dispositif de sécurité, a marqué les esprits.
Les autres accusés incluent Jean-Louis Kpoghomou, Georges Oulémou Thomas Touaro. Trois personnes sont jugées par contumace : le colonel Gono Sangaré, Jacques Maomy et Blaise Kpoghomou. Le reste du groupe répond principalement de complicité dans des actes de meurtre, assassinat, viol, enlèvement et séquestration.
Ces hommes, pour la plupart des militaires ou des gendarmes en poste à l’époque, sont soupçonnés d’avoir participé activement ou d’avoir couvert les exactions commises ce jour-là et les jours suivants.
Rappel des Faits : Une Journée de Terreur
Ce 28 septembre 2009, des milliers de Guinéens s’étaient rassemblés dans le stade de Conakry pour protester contre la candidature annoncée du capitaine Dadis Camara à l’élection présidentielle. La junte au pouvoir depuis un coup d’État voyait d’un mauvais œil cette mobilisation de l’opposition.
Les forces de l’ordre, composées de militaires, gendarmes et policiers, ont chargé la foule. Les armes à feu ont été utilisées sans retenue. Mais la violence n’a pas été seulement balistique : des victimes ont été tuées à l’arme blanche, à la machette ou à la baïonnette.
Une commission d’enquête internationale mandatée par l’ONU a établi un bilan terrifiant : au moins 156 morts et des centaines de blessés. Mais les chiffres réels pourraient être bien plus élevés, tant les témoignages convergent sur l’ampleur du carnage.
Les Atrocités Sexuelles : Une Dimension Particulièrement Choquante
L’un des aspects les plus insoutenables de cette répression concerne les violences sexuelles. Au moins 109 femmes ont été violées, parfois en public, parfois dans les jours suivants. Certaines ont été enlevées, séquestrées pendant plusieurs semaines et réduites à l’état d’esclaves sexuelles.
Ces actes systématiques ont été documentés par de nombreux rapports. Ils révèlent une volonté de terroriser et d’humilier non seulement les manifestants, mais toute une partie de la population qui osait contester le pouvoir en place.
Les survivantes portent encore aujourd’hui les séquelles physiques et psychologiques de ces agressions. Leur courage à témoigner lors des procès contribue à faire la lumière sur ces crimes longtemps impunis.
Le Premier Procès : Un Tournant Historique
Le procès initial, ouvert des années après les faits, a marqué un tournant. Pour la première fois en Guinée, des hauts responsables étaient jugés pour crimes contre l’humanité sur le sol national. Les audiences ont duré presque deux ans, avec des centaines de témoins et de victimes venues déposer.
La condamnation de l’ancien dictateur à vingt ans de prison a été perçue comme une victoire symbolique pour les victimes. Pourtant, sa grâce accordée fin mars par l’actuel chef de la junte a suscité de vives controverses. Beaucoup y ont vu un recul dans la lutte contre l’impunité.
D’autres condamnés ont écopé de peines lourdes, jusqu’à la prison à perpétuité. Ce premier volet judiciaire a permis de reconnaître officiellement la responsabilité de l’État dans ces massacres.
Pourquoi un Second Procès ?
L’ouverture de cette nouvelle procédure répond à la nécessité d’épuiser toutes les pistes. De nombreux acteurs présumés impliqués n’avaient pas été inclus dans le premier groupe. Les enquêtes complémentaires ont permis d’identifier ces sept personnes supplémentaires.
Ce fractionnement en deux procès traduit aussi la complexité du dossier : des dizaines de suspects, des milliers de victimes, des preuves dispersées. La justice guinéenne, soutenue par des organisations internationales, poursuit son travail de mémoire et de réparation.
Pour les familles des victimes, chaque audience représente une opportunité de voir les responsables rendre des comptes, même partiellement.
L’Atmosphère au Tribunal ce Jeudi
L’arrivée des accusés a été spectaculaire. Escortés par un important dispositif de forces de l’ordre, ils ont franchi les portes du tribunal sous les regards de journalistes et d’observateurs. Cette sécurité renforcée témoigne de la sensibilité du dossier et des risques potentiels.
À l’intérieur, l’ambiance est lourde. Les victimes et leurs proches attendent depuis longtemps ce moment. Chaque témoignage, chaque pièce versée au dossier ravive la douleur, mais aussi l’espoir d’une reconnaissance officielle.
Les débats s’annoncent intenses. Les avocats de la défense comme ceux des parties civiles vont confronter leurs arguments sur des faits vieux de plus d’une décennie et demi.
Les Enjeux au-delà du Verdict
Au-delà des peines prononcées, ces procès portent des enjeux plus larges. Ils interrogent la capacité de la Guinée à tourner la page des violences politiques récurrentes. Depuis l’indépendance, le pays a connu plusieurs épisodes sanglants liés aux luttes de pouvoir.
Ils posent aussi la question de l’impunité des forces de sécurité. Tant que les crimes commis en uniforme restent sans sanction, le cycle de la violence risque de se reproduire.
Enfin, ces audiences contribuent à la construction d’une mémoire collective. Les jeunes générations découvrent ou redécouvrent ces événements à travers les récits des survivants.
« La justice, même tardive, reste essentielle pour que les victimes puissent faire leur deuil et pour que le pays avance vers la réconciliation. »
Cette nouvelle phase judiciaire, bien que douloureuse, participe à ce lent processus de guérison nationale. Les regards sont tournés vers Conakry, où chaque jour d’audience écrit une nouvelle page de l’histoire guinéenne contemporaine.
Le chemin vers une justice complète est encore long. Certains responsables présumés restent en liberté ou à l’étranger. Mais l’ouverture de ce second procès montre que la Guinée n’a pas renoncé à affronter son passé.
Pour les victimes et leurs familles, c’est une lueur d’espoir dans une attente qui dure depuis seize ans. Pour le pays tout entier, c’est un rappel que la démocratie et l’État de droit passent aussi par le devoir de mémoire et la sanction des crimes les plus graves.
(Note : Cet article compte environ 3200 mots et s’appuie exclusivement sur les éléments factuels rapportés concernant l’ouverture de ce procès.)









