Imaginez une salle d’audience à Paris où résonnent, jour après jour, les voix brisées de femmes et d’hommes venus de l’autre bout du monde. Ils racontent des viols collectifs devant leurs enfants, des villages rayés de la carte, des corps mutilés abandonnés sur les routes. Et au centre de ces récits, un seul nom revient sans cesse : Roger Lumbala.
Depuis plus d’un mois, la cour d’assises de Paris tente de comprendre comment, entre 2002 et 2003, dans le nord-est de la République démocratique du Congo, une opération baptisée « Effacer le tableau » a pu devenir synonyme d’horreur absolue.
Un procès qui défie l’oubli
Roger Lumbala, 67 ans, a choisi l’absence. Dès l’ouverture des débats le 12 novembre, il a décidé de ne plus paraître devant les juges. Pour lui, la France n’a aucune légitimité à le juger pour des faits commis à des milliers de kilomètres. Mais les victimes, elles, sont venues. Elles ont traversé continents et souvenirs pour dire ce qu’elles ont vécu.
Ce procès n’est pas seulement celui d’un homme. C’est celui d’un système qui, depuis trente ans, laisse des millions de Congolais payer le prix d’une guerre dont le véritable moteur reste l’appât des minerais.
« Effacer le tableau » : le nom d’une entreprise de destruction
L’expression est glaçante de froideur bureaucratique. « Effacer le tableau » : c’était le nom de code donné à l’offensive menée par le RCD-N de Roger Lumbala et son allié le MLC de Jean-Pierre Bemba contre une faction rivale. Soutenus par l’Ouganda, ces mouvements rebelles ont semé la terreur dans l’Ituri et au-delà.
Les témoignages sont insoutenables. Des femmes violées devant leur famille. Des adolescentes réduites à l’esclavage sexuel. Des hommes forcés à porter les biens pillés sous la menace. Des exécutions sommaires pour terroriser les populations.
« Ce n’était pas des actes isolés. C’était une méthode. »
Me Clémence Bectarte, avocate des parties civiles
Roger Lumbala : politique ou chef militaire ?
Voilà la question centrale que les parties civiles ont martelée pendant des heures. L’accusé a toujours présenté une version lisse de son parcours : un homme politique, un négociateur, jamais un chef de guerre. Un opportuniste peut-être, mais pas un criminel.
Les avocats des victimes ont méthodiquement démonté cette défense.
Aucune femme n’affirme avoir été violée personnellement par Roger Lumbala. Mais toutes disent avoir été victimes de soldats qui se revendiquaient « soldats de Roger Lumbala » ou « soldats des Effacés ».
Et les indices s’accumulent :
- Des meetings tenus par Lumbala dans les villes mêmes où les exactions étaient commises
- Un hélicoptère qui le transportait avec des munitions et repartait chargé du butin
- Ses propres mots dans des interviews d’époque : « nos troupes », « notre territoire »
- Des soldats non payés mais autorisés à piller – une carte blanche qui ne pouvait venir que du haut
Le viol comme arme de guerre systématique
Ce qui frappe dans les récits, c’est la répétition. Le même schéma dans village après village. Les viols ne sont pas des « excès » isolés. Ils font partie du plan.
Violer devant la famille pour briser les liens sociaux. Réduire des femmes en esclavage sexuel pour marquer la domination. Laisser les corps exposés pour que la terreur empêche tout retour.
Comme l’a résumé une avocate : « Il n’a peut-être pas porté l’arme, mais c’est lui qui fixait la cible. Il n’entrait pas dans les maisons pillées, mais c’est lui qui ouvrait la porte. »
Un verdict historique en perspective
Les parties civiles l’ont dit sans détour : une condamnation serait historique. Pas parce qu’elle mettrait fin à l’impunité – personne n’est assez naïf pour le croire – mais parce qu’elle participerait à l’écrire autrement.
Pour la première fois, un chef rebelle congolais pourrait être condamné en Europe pour des crimes commis sur son propre sol. Un signal envoyé à tous ceux qui, encore aujourd’hui, pensent que l’éloignement géographique protège de la justice.
Le verdict est attendu lundi. Roger Lumbala risque la réclusion criminelle à perpétuité.
Derrière l’accusé, un système qui dure encore
Mais au-delà du sort d’un seul homme, c’est tout un système que ce procès met en lumière. Celui des groupes armés qui se financent par le pillage des ressources. Celui des parrains régionaux qui arment et protègent. Celui des entreprises qui ferment les yeux sur l’origine des minerais.
Dans l’est de la RDC, la guerre n’a jamais vraiment cessé. Les noms changent, les alliances se font et se défont, mais les victimes restent les mêmes.
Ce procès, même s’il aboutit à une condamnation exemplaire, ne rendra ni les vies perdues, ni l’innocence brisée, ni les villages reconstruits. Mais il peut, peut-être, rappeler au monde que certains crimes ne s’effacent pas. Même quand on a tout fait pour « effacer le tableau ».
Lundi, la cour d’assises de Paris rendra sa décision. Et quelque part, dans un village de l’Ituri, une femme qui a témoigné à visage découvert attendra de savoir si, enfin, quelqu’un a été tenu responsable.
À retenir : Ce n’est pas seulement Roger Lumbala qui est jugé. C’est notre capacité collective à regarder en face les crimes les plus atroces et à dire : plus jamais ça. Même vingt ans après.
(Article mis à jour le 11 décembre 2025 – verdict attendu le 15 décembre)









