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Procès historique à Marseille après l’effondrement mortel de 2018

Un procès hors norme s'ouvre à Marseille pour juger les responsables de l'effondrement mortel de deux immeubles en 2018. 16 prévenus sur le banc des accusés, 87 parties civiles, 6 semaines d'audience... La justice va-t-elle être rendue ?

Un procès d’une ampleur inédite s’ouvre ce jeudi à Marseille, six ans après le drame de la rue d’Aubagne qui avait ému la France entière. Le 5 novembre 2018, deux immeubles vétustes s’effondraient brutalement près du Vieux-Port, ensevelissant huit personnes sous les décombres. Une tragédie qui avait mis en lumière le fléau du mal-logement et de l’habitat indigne dans la cité phocéenne.

Pendant six semaines, jusqu’au 18 décembre, la justice va tenter de faire la lumière sur les responsabilités de chacun dans ce drame qui aurait pu être évité. Sur le banc des accusés, seize prévenus dont un ancien adjoint au maire, des copropriétaires peu scrupuleux, un syndic négligent et un expert peu consciencieux. Tous sont impliqués à des degrés divers dans la spirale mortifère qui a conduit à l’effondrement des numéros 63 et 65 de la rue d’Aubagne.

Un traumatisme toujours vif pour les Marseillais

Six ans après, l’onde de choc est encore palpable dans la cité phocéenne. Les photos des huit victimes, âgées de 30 à 58 ans, seront exposées dans la salle d’audience pendant toute la durée du procès. Un symbole fort pour ne pas oublier Fabien, Marie-Corinne, Chérif, Niasse, Julien, Simona, Taher et Ouloume, emportés sous les gravats ce funeste matin du 5 novembre.

Comme le rappelle la presse locale, il s’agit d’un “procès monstre”, un “procès pour l’histoire” dans une ville gangrénée par le mal-logement. Quelques 87 parties civiles sont attendues à la barre pour livrer des témoignages poignants et réclamer justice. Pour la Fondation Abbé Pierre, ce procès doit acter “tout ce qu’il ne faudra plus jamais faire” en matière de logement indigne, alors que la France compte encore 600 000 taudis.

Une longue chaîne de négligences et de dysfonctionnements

L’enquête a montré que tous les maillons de la chaîne du logement portaient une part de responsabilité dans ce drame. Des copropriétaires peu regardants sur l’entretien de leur bien, un gestionnaire d’immeuble défaillant, un expert trop expéditif et des élus locaux indifférents aux signalements répétés sur l’état des immeubles. “Avec une légèreté qui interroge” selon les magistrats instructeurs.

Les juges ont pointé “un attentisme” de la part de Marseille Habitat, le bailleur social propriétaire du 63, vraisemblablement “motivé par des critères financiers”. Au 65, la copropriété n’a jamais réalisé les travaux nécessaires à la sécurité de l’immeuble malgré les alertes. Une forme “d’accumulation de dysfonctionnements” qui reflète “dramatiquement et de manière paroxystique” l’état de délabrement du bâti ancien dans le centre-ville, ont-ils résumé.

L’incroyable récit des rescapés

Le matin du drame, plusieurs locataires avaient bien perçu les signes avant-coureurs de l’effondrement. A commencer par Fabien Lavieille qui, à 9h, avait appelé sa mère en panique car sa porte était bloquée. Sept minutes plus tard, il était englouti avec son immeuble… Un autre locataire avait filmé d’inquiétantes fissures à 8h52 avant de se rendre chez le syndic. Sophie, elle, avait signalé dès le 14 octobre une large lézarde dans le hall d’entrée. Son appartement étant inhabitable la veille du 5 novembre, elle était partie dormir chez ses parents, échappant ainsi au pire.

Les victimes ne sont pas mortes de la pluie, du hasard ou du destin. Les effondrements s’inscrivent dans une longue histoire de négligences, d’incurie et d’abandon.

Benoît Payan, maire de Marseille

Le lourd tribut politique du drame de la rue d’Aubagne

Au-delà du procès judiciaire, c’est aussi le procès d’une gestion municipale défaillante qui s’ouvre. L’ex-maire LR Jean-Claude Gaudin, décédé en mai, avait vu son dernier mandat profondément entaché par la catastrophe après 25 ans à la tête de la ville. Ses accusations sur “la pluie” et la malchance n’avaient pas convaincu des Marseillais ulcérés, qui avaient manifesté par milliers aux cris de “Gaudin assassin”.

Un séisme politique qui a précipité la chute de la droite aux municipales de 2020 au profit de la coalition de gauche menée par Benoît Payan. Le nouveau maire promet de tirer les leçons du drame et d’éradiquer les 40 000 logements indignes qui menacent toujours des milliers d’habitants de sa ville. La tenue de ce procès hors norme est une première étape pour panser les plaies. Mais il faudra du temps aux Marseillais pour se remettre d’une telle tragédie, “reflet paroxystique d’une ville malade de son habitat” selon un avocat des parties civiles.

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