C’est un portrait accablant qu’ont dressé les enquêteurs de l’antiterrorisme français ce lundi, lors du procès des personnes mises en cause dans l’assassinat du professeur Samuel Paty. Décapité en octobre 2020 par un jeune radicalisé d’origine tchétchène, l’enseignant a été la cible d’une campagne de haine orchestrée sur les réseaux sociaux. Au cœur de ce tragique engrenage : deux hommes dont les agissements sont passés au crible.
Abdelhakim Sefrioui et Brahim Chnina, les accusés sous le feu des projecteurs
Âgés respectivement de 65 et 52 ans, Abdelhakim Sefrioui et Brahim Chnina sont poursuivis pour avoir participé « à l’élaboration et la diffusion de vidéos présentant des informations fausses ou déformées destinées à susciter un sentiment de haine » envers Samuel Paty. Une accusation lourde qui pourrait leur valoir jusqu’à 30 ans de réclusion criminelle. Mais qui sont ces deux hommes dont le rôle semble avoir été déterminant dans le funeste destin du professeur ?
Abdelhakim Sefrioui, le prédicateur islamiste
Le parcours militant d’Abdelhakim Sefrioui, dépeint par les enquêteurs, est celui d’un prédicateur islamiste cherchant à « instrumentaliser » les valeurs de la République. Sympathisant revendiqué des Frères musulmans, il crée dès 2004 un collectif pro-Hamas multipliant les manifestations anti-israéliennes musclées. Un activisme radical qui préfigure son implication dans la tragique affaire Paty.
Brahim Chnina, le père de famille manipulé ?
Brahim Chnina, lui, est le père d’une collégienne à l’origine de rumeurs mensongères sur Samuel Paty. Affirmant à tort que l’enseignant aurait demandé aux élèves musulmans de quitter la classe avant de montrer des caricatures de Mahomet, l’adolescente a mis le feu aux poudres. Son père, Brahim Chnina, s’est alors empressé de relayer ces allégations infondées sur les réseaux, désignant nommément le professeur et son établissement.
Une campagne médiatique toxique
Rapidement contacté par Sefrioui, Chnina va s’associer au prédicateur pour orchestrer une virulente campagne de dénigrement visant Samuel Paty. Vidéos mensongères, propos haineux, appels à la mobilisation… Les deux hommes vont tout faire pour présenter l’enseignant comme un « voyou » coupable d’avoir « insulté le Prophète ». Une manipulation de l’opinion d’une violence inouïe, qui va transformer le professeur en cible.
Il y a une volonté de faire le buzz
une enquêtrice de la sous-direction antiterroriste
Pour les enquêteurs, Sefrioui et Chnina « ne pouvaient ignorer faire de Samuel Paty une cible » en diffusant ces vidéos « mensongères et haineuses ». Une responsabilité morale écrasante, alors même que l’assassin du professeur, Abdoullakh Anzorov, est entré directement en contact avec Chnina après avoir visionné ces images.
Comprendre l’engrenage fatal
Au fil des jours, la machine à haine s’emballe. L’adresse et le nom du collège sont divulgués par Chnina, qui appelle à dire « Stop » sans préciser ses intentions. De son côté, Sefrioui, se présentant fallacieusement comme « représentant des imams de France », menace la direction de l’établissement d’une manifestation et s’improvise « metteur en scène » d’une vidéo accablant Samuel Paty. Le tout sur fond de références douteuses au massacre de Srebrenica et de chants religieux évoquant ceux des terroristes du 13-Novembre. La machine infernale est lancée.
Des révélations glaçantes
Plus l’enquête avance, plus le rôle central des vidéos de Chnina et Sefrioui dans le passage à l’acte d’Abdoullakh Anzorov se précise. Un échange glaçant entre l’assassin et le père de famille, la veille de l’attentat, en atteste : « Merci pour votre soutien », écrit alors Chnina au jeune terroriste. La responsabilité des deux accusés dans ce engrenage mortifère ne fait plus de doute.
Au terme de cette première journée d’audience, le portrait de Sefrioui et Chnina dressé par les enquêteurs est accablant. Manipulations, mensonges, appels à la haine… Leur rôle dans la tragique destinée de Samuel Paty est mis en lumière de façon crue. Il reviendra désormais à la justice de déterminer leur niveau de responsabilité exacte dans ce drame qui a profondément choqué la France. Un procès essentiel pour tenter de comprendre l’engrenage impitoyable qui a broyé un professeur devenu, bien malgré lui, un symbole de la liberté d’expression face à l’obscurantisme.