Nouveau rebondissement dans l’affaire de l’homme grièvement blessé à l’œil par un tir de grenade lacrymogène lors d’une manifestation des “gilets jaunes” en novembre 2019 à Paris. Selon des sources proches du dossier, une juge vient d’ordonner le renvoi devant la cour criminelle d’un policier suspecté d’être à l’origine de ces violences.
L’agent mis en cause, Fabrice T., devra ainsi répondre de “violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente par une personne dépositaire de l’autorité publique”. Dans son ordonnance de mise en accusation, la magistrate instructrice souligne que le tir incriminé ne respectait pas les règles d’engagement, car effectué “de façon évidente trop bas, en dessous des 30° minimum requis”, soit un tir tendu.
La grenade a alors “percuté violemment l’œil gauche de Manuel Coisne, sans qu’il puisse l’éviter et l’anticiper, entraînant la perte irrémédiable de son œil”, précise la juge. Pour celle-ci, “un tir tendu n’avait pas sa place” dans ce contexte, le manifestant n’exerçant “aucune voie de fait envers les forces de police” et se tenant “en retrait des manifestants violents”.
Un policier qui conteste les faits malgré une vidéo accablante
Cette décision de justice est saluée par l’avocat de la victime, Me Arié Alimi, qui y voit “un soulagement”. Le policier mis en examen, âgé de 49 ans, reste quant à lui sur sa ligne de défense. Tout au long de la procédure, il a nié “être l’auteur des blessures” de Manuel Coisne, précisant que si l’enquête démontrait son implication, “cela ne pouvait être qu’involontaire“.
Pourtant, une vidéo des faits, largement relayée sur les réseaux sociaux, semble le confondre. On y voit distinctement le “gilet jaune”, alors âgé de 41 ans, discuter à l’écart des heurts avec d’autres manifestants, à proximité d’un centre commercial. C’est alors qu’il est brutalement atteint au visage par une grenade lacrymogène.
Un dossier emblématique des violences policières lors des manifestations des “gilets jaunes”
Ce procès à venir s’annonce comme l’un des premiers d’envergure concernant les accusations de violences commises par les forces de l’ordre lors du mouvement social des “gilets jaunes”. Débuté à l’automne 2018 pour protester contre la hausse du coût de la vie, ce mouvement inédit a été marqué par une contestation sociale d’ampleur, mais aussi par des affrontements d’une violence rare entre manifestants et policiers.
De nombreux manifestants et observateurs ont dénoncé un usage disproportionné de la force et des armes dites “intermédiaires” par les forces de l’ordre, en particulier le LBD40 et les grenades de désencerclement GLI-F4. Plusieurs manifestants ont été grièvement blessés, éborgnés ou mutilés lors de ces rassemblements, suscitant une vive controverse sur la doctrine du maintien de l’ordre en France.
Le parquet avait pourtant requis un non-lieu
La décision de la juge d’instruction va à l’encontre des réquisitions du parquet, qui avait conclu à un non-lieu dans ce dossier. Pour le ministère public, “si le tir effectué par Fabrice T. peut être considéré comme un tir tendu” selon différents experts, il restait néanmoins “conforme au regard de la formation reçue” par le policier mis en cause.
Cette position du parquet avait suscité l’incompréhension et la colère des parties civiles et de nombreux observateurs, y voyant une forme d’indulgence vis-à-vis des forces de l’ordre. Le renvoi en procès de Fabrice T. apparaît donc comme une victoire pour les défenseurs des droits des manifestants et un signal fort de la justice dans ce dossier très médiatisé.
Un procès très attendu et aux forts enjeux
Alors que la date de l’audience n’est pas encore connue, ce procès s’annonce d’ores et déjà comme un moment charnière. Au-delà du cas individuel de Manuel Coisne et Fabrice T., c’est bien la question des violences policières et de l’usage de la force en manifestation qui sera au cœur des débats.
Pour les “gilets jaunes” et leurs soutiens, il s’agira de faire reconnaître le caractère systémique et illégitime de ces violences, et d’obtenir justice pour les nombreuses victimes. Du côté des forces de l’ordre et du gouvernement, on tentera sans doute de circonscrire le procès à un cas isolé, tout en défendant la nécessité d’une réponse ferme face aux débordements.
En tout état de cause, ce procès promet d’être très suivi et pourrait faire jurisprudence. Au-delà de l’établissement des responsabilités individuelles, c’est bien le modèle français du maintien de l’ordre et la question du respect des libertés publiques qui seront interrogés à cette occasion. Un rendez-vous crucial pour notre démocratie.