L’affaire Boualem Sansal, célèbre écrivain algérien emprisonné dans son pays, prend une tournure inattendue en France. Le politologue Nedjib Sidi Moussa a décidé de porter plainte contre l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler pour injure publique, suite à des propos qu’elle a tenus à son encontre sur les réseaux sociaux.
Retour sur une émission polémique
Tout a commencé le 24 novembre dernier, lors de l’émission « C politique » sur France 5. Nedjib Sidi Moussa, invité pour débattre du cas de Boualem Sansal, a refusé de le qualifier d’« homme des lumières qui défend les grandes causes ». Il a expliqué :
Boualem Sansal, depuis quelques années, alimente un discours hostile à l’égard des immigrés, des musulmans, et reprend tous les thèmes d’Éric Zemmour.
Des propos qui ont choqué Florence Bergeaud-Blackler. Sur Twitter, elle a partagé un extrait de l’intervention en résumant ainsi la position de Sidi Moussa : « Je ne justifie pas son emprisonnement mais Boualem Sansal a été interviewé sur un média d’extrême droite », avant de le traiter de « pauvre con ».
L’anthropologue accusée de « livrer un chercheur à la vindicte des milieux réactionnaires »
Pour l’avocat de Nedjib Sidi Moussa, Me Rafik Chekkat, sa cliente a fait l’objet d’une « campagne de haine en ligne, faite d’injures racistes et de menaces » suite à ces tweets. Il estime qu’en s’en prenant publiquement au politologue, l’anthropologue l’a « livré à la vindicte des milieux réactionnaires ».
Sidi Moussa avait d’ailleurs réagi aux nombreuses critiques suscitées par son intervention, en les qualifiant de vocabulaire relevant du « racisme pur ».
La liberté d’expression des intellectuels en question
Au-delà des invectives personnelles, cette affaire pose la question de la liberté d’expression et de la responsabilité des intellectuels et chercheurs dans le débat public. Peut-on critiquer les positions d’un écrivain emprisonné sans pour autant cautionner son incarcération ? Les attaques ad hominem sur les réseaux sociaux sont-elles compatibles avec un débat serein ?
Autant d’interrogations qui animent actuellement le milieu intellectuel français. Beaucoup s’inquiètent d’une judiciarisation croissante des controverses, menaçant la liberté des échanges. D’autres pointent la violence de certains propos, amplifiée par les réseaux sociaux.
En attendant la justice
La plainte de Nedjib Sidi Moussa sera-t-elle jugée recevable ? Le politologue obtiendra-t-il gain de cause face à l’anthropologue ? En attendant que la justice tranche, une chose est sûre : le cas Boualem Sansal continue de cristalliser les passions et de diviser le monde intellectuel français.
Un débat qui en dit long sur l’état de notre société, tiraillée entre la défense des libertés fondamentales et la tentation du politiquement correct. Entre la volonté d’un dialogue apaisé et la polarisation croissante des opinions. Un équilibre de plus en plus difficile à trouver dans un contexte de tensions exacerbées.
Cette affaire illustre aussi la complexité de la situation des intellectuels maghrébins pris entre plusieurs feux : la répression dans leur pays d’origine, les attentes parfois contradictoires de l’opinion occidentale, la difficulté de faire entendre une voix nuancée dans un débat de plus en plus manichéen.
Au final, c’est la figure de Boualem Sansal qui risque de sortir affaiblie de ces polémiques à répétition. Loin de faire avancer sa cause, elles brouillent son message et divisent ses soutiens. Une situation d’autant plus regrettable que l’essentiel – la défense de sa liberté face à l’arbitraire – se retrouve noyé dans un flot de controverses.
Espérons que la raison et la mesure finiront par l’emporter. Que par-delà les invectives et les procès, le combat pour les droits humains et la liberté d’expression restera le phare qui guide les intellectuels engagés, en France comme en Algérie. Un idéal exigeant, plus que jamais nécessaire dans un monde troublé.