Imaginez-vous réveillé à l’aube par une nouvelle qui secoue tout un pays. Le 10 octobre dernier, Maria Corina Machado apprend, comme des millions de Vénézuéliens, qu’elle vient de recevoir le prix Nobel de la paix. Mais elle ne peut pas crier victoire publiquement : elle vit cachée depuis août 2024. Quelques semaines plus tard, c’est sa fille Ana Corina qui monte sur l’estrade à Oslo pour récupérer la médaille. Une image forte, presque irréelle, qui résume à elle seule la situation explosive du Venezuela actuel.
Un Nobel qui tombe au pire et au meilleur moment
Le comité norvégien a salué « son travail inlassable pour les droits démocratiques du peuple vénézuélien et sa lutte pour une transition pacifique de la dictature vers la démocratie ». Des mots qui sonnent comme une gifle pour le pouvoir en place et comme un immense espoir pour des millions d’opposants.
Mais dans les rues de Caracas, Petare ou Maracaibo, la réaction n’est pas unanime. Pour certains, c’est la reconnaissance tant attendue d’une femme qui incarne la résistance. Pour d’autres, c’est une provocation étrangère qui récompense « une traîtresse ».
Ceux qui pleurent de joie dans la rue
Alirio Villegas a 78 ans. Retraité, il marche difficilement dans les rues de Catia. Pourtant, quand il parle de Maria Corina, ses yeux brillent.
« C’est très bien qu’elle ait reçu ce prix, parce qu’elle est vénézuélienne. C’est elle que veut le pays. Si elle s’en va pour toujours, qu’allons-nous faire ? »
Comme lui, des milliers de personnes se demandent que ce Nobel redonne de la force à l’opposition après la fraude électorale massive de juillet 2024. Jazmin Briceño, enseignante de 45 ans, y voit « un bon pas en avant pour continuer le combat ».
Elle insiste : Maria Corina doit revenir. « On ne peut pas lui interdire de rentrer chez elle. Nous l’attendons ici ».
Même à Oslo, Magali Meda, ancienne cheffe de campagne, balaie d’un revers de main l’idée d’un exil définitif : « Comment pourrions-nous seulement imaginer que Maria Corina ne revienne pas ? »
Ceux qui parlent de « honte nationale »
À quelques kilomètres de là, au centre de Caracas, Abigail Castillo, 24 ans, assistante administrative, ne décolère pas.
« Comme les voleurs, elle va rester cachée. Pas besoin qu’elle revienne, qu’elle reste là-bas, dehors. C’est une honte qu’on ait donné ce prix à cette dame qui n’a fait qu’appeler au blocus contre notre pays. »
Le gouvernement, par la voix de Diosdado Cabello, ministre de l’Intérieur, minimise l’événement avec mépris : « Nous, nous avons la meilleure des récompenses : ce peuple et la tranquillité dans laquelle nous vivons. » Une phrase qui fait sourire jaune ceux qui font trois heures de queue pour un kilo de riz.
Mercredi, jour même de la cérémonie à Oslo, une marche pro-gouvernementale a été organisée pour montrer que le chavisme reste mobilisé.
Le mystère autour de son départ du Venezuela
Comment Maria Corina Machado a-t-elle quitté le pays ? Personne ne le sait vraiment. Le procureur général Tarek William Saab a été clair : si elle a franchi la frontière, elle est désormais considérée « en fuite » à cause des nombreuses enquêtes pénales la visant.
Dans un message audio envoyé aux organisateurs du Nobel, l’opposante a déclaré que « de nombreuses personnes ont risqué leur vie » pour qu’elle puisse arriver à Oslo. Elle promet d’ailleurs d’y être « très bientôt » pour embrasser ses enfants qu’elle n’a pas vus depuis deux ans.
Ces mots ont fait pleurer beaucoup de Vénézuéliens. Ils rappellent le prix personnel énorme payé par ceux qui osent défier le régime.
Et ceux que la politique fatigue profondément
Il y a aussi Josmar Rodriguez, menuisier de 32 ans, qui hausse les épaules : « On ne mange pas parce que Maria Corina a gagné un prix. Il faut sortir dans la rue pour gagner sa vie. »
Ce désintérêt, voire cette lassitude, touche une partie grandissante de la population épuisée par quinze ans de crise économique et politique.
Résumé des réactions en trois camps
- Les optimistes : voient dans le Nobel un levier pour relancer la lutte démocratique
- Les fidèles du chavisme : dénoncent une ingérence étrangère et une récompense imméritée
- Les épuisés : pensent que ni Nobel ni politique ne rempliront leur frigo
Un retour possible ?
Toute la question est là. Maria Corina Machado rentrera-t-elle ? Si oui, quand ? Et surtout : dans quelles conditions ?
Ses proches jurent que oui. Le pouvoir, lui, brandit la menace d’une arrestation immédiate. Entre les deux, des millions de Vénézuéliens retiennent leur souffle.
Ce Nobel, paradoxalement, pourrait devenir le catalyseur d’une nouvelle phase du bras de fer entre l’opposition et le régime. Ou au contraire le symbole d’un exil forcé qui signerait la fin d’un cycle.
Une chose est sûre : en ce mois de décembre 2025, le Venezuela vit encore et toujours au rythme de cette femme devenue, qu’on l’aime ou qu’on la déteste, incontournable.
Et vous, pensez-vous qu’elle osera rentrer ?









