Quand des milliers de personnes fuient la guerre et frappent à votre porte, que faites-vous ? Au Cameroun, dans le petit village de Gado-Badzéré, un homme a choisi d’ouvrir grand les bras. Mercredi, Martin Azia Sodea, chef traditionnel de cette communauté, a été sacré lauréat du prix Nansen 2024 par le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies.
Un prix prestigieux pour un geste devenu légendaire
Le prix Nansen, créé en 1954 en hommage à Fridtjof Nansen, premier Haut Commissaire pour les réfugiés et Nobel de la paix, récompense chaque année des personnes ou organisations qui vont “au-delà du devoir” pour protéger les déplacés. Doté de 100 000 dollars, il sera remis à Martin Azia Sodea le 16 décembre à Genève.
Cette distinction n’est pas tombée du ciel. Elle couronne plus de dix ans d’efforts continus pour intégrer 36 000 réfugiés, principalement centrafricains, arrivés par vagues successives après les crises post-électorales de 2014 et 2021 en République centrafricaine.
De la survie immédiate à l’intégration durable
Lorsque les premiers réfugiés ont franchi la frontière, Martin Azia Sodea n’a pas réfléchi en termes de statistiques. Il a vu des familles terrifiées, des enfants affamés, des vies brisées.
« L’idée de départ c’était de trouver le moyen d’assurer leur survie et leur santé. S’ils avaient quitté la Centrafrique, c’était pour sauver leur vie. »
Martin Azia Sodea, lauréat du prix Nansen 2024
Avec l’appui du HCR et d’autres organisations, le chef et sa famille ont mobilisé tout le village. Des terres ont été mises à disposition. Des abris provisoires ont été construits. Puis est venu le plus difficile : faire vivre ensemble des communautés qui ne se connaissaient pas.
Le chef Sodea a instauré un principe simple mais révolutionnaire dans le contexte : le vivre-ensemble. Des rencontres régulières, des échanges culturels, des travaux communs sur les champs. Petit à petit, la méfiance a laissé place à la confiance.
Un village devenu symbole de solidarité
Aujourd’hui, Gado-Badzéré, les réfugiés ne sont plus perçus comme une charge. Ils participent à la vie économique locale en cultivant les terres qui leur ont été attribuées. Certains ont même créé de petites activités commerciales.
Le HCR souligne que le leadership de Martin Azia Sodea a transformé « un petit village en un symbole de solidarité, reposant sur la conviction que ceux qui arrivent en détresse méritent d’être soutenus et de bénéficier d’un espace pour souffler ».
Mieux encore : l’exemple de Gado-Badzéré a fait école. D’autres chefs traditionnels de l’est du Cameroun ont suivi le mouvement, changeant profondément la manière dont les réfugiés sont accueillis dans toute la région.
Quatre lauréats régionaux également à l’honneur
Martin Azia Sodea n’est pas seul à être distingué cette année. Quatre lauréats régionaux illustrent la diversité des initiatives pour les réfugiés à travers le monde.
- Afrique : Pablo Moreno Cadena, cadre chez MABE au Mexique, qui a poussé son entreprise à embaucher massivement des réfugiés.
- Europe : L’organisation ukrainienne Proliska, qui a porté assistance à plus de 3,2 millions de personnes dans les zones les plus dangereuses.
- Moyen-Orient : Taban Shoresh, fondatrice de The Lotus Flower, qui soutient les femmes et filles déplacées au Kurdistan irakien.
- Asie centrale : Negara Nazari, réfugiée afghane qui a créé l’école Ariana au Tadjikistan pour les jeunes Afghans privés d’éducation.
Pourquoi cette histoire nous concerne tous
Dans un monde où les discours de rejet des migrants se multiplient, l’histoire de Gado-Badzéré rappelle une vérité essentielle : l’accueil est possible. Il ne nécessite pas forcément des moyens colossaux, mais une volonté politique locale et une vision humaine.
Le chef Sodea n’a pas attendu que l’État ou les grandes organisations internationales résolvent tout. Il a agi, avec sa communauté, là où il était. Et les résultats sont là : des milliers de vies sauvées, reconstruites, intégrées.
À l’heure où plus de 120 millions de personnes sont déplacées dans le monde, selon les derniers chiffres du HCR, des initiatives comme celle de Gado-Badzéré montrent qu’une autre voie est possible. Une voie faite de dignité, de partage et de fraternité.
Le 16 décembre, quand Martin Azia Sodea montera sur l’estrade à Genève pour recevoir son prix, il ne représentera pas seulement son village. Il portera la voix de tous ceux qui, dans l’ombre, ouvrent leurs portes quand d’autres les ferment.
Une leçon d’humanité qui, espérons-le, fera plus de bruit que tous les discours de haine.









