Imaginez un pays où, malgré des décennies de progrès économique mondial, les salaires semblent figés dans le temps. En Italie, ce n’est pas une simple impression : depuis les années 90, les revenus réels des travailleurs ont non seulement stagné, mais parfois régressé. Alors que les Français et les Allemands ont vu leurs salaires augmenter d’un tiers et les Américains de 50 % en termes réels, les Italiens, eux, peinent à suivre. Qu’est-ce qui bloque ce moteur économique ? Plongeons dans les rouages d’une situation qui intrigue autant qu’elle préoccupe.
Un Problème Enraciné dans l’Économie Italienne
Le constat est frappant : l’Italie est une anomalie parmi les économies développées. Depuis les années 90, les salaires, ajustés à l’inflation, n’ont pas progressé. Pire, entre 2021 et 2024, les Italiens ont perdu près de 7,5 % de leur pouvoir d’achat, soit l’équivalent d’un mois de salaire par an. Cette stagnation, amplifiée par l’inflation post-Covid, place l’Italie en queue de peloton des pays de l’OCDE pour la répercussion des hausses de coûts sur les rémunérations.
Andrea Garnero, économiste à l’OCDE et co-auteur de La Questione salariale, pointe du doigt plusieurs facteurs structurels. Parmi eux, la taille des entreprises, les secteurs d’activité dominants et un système de négociation salariale inefficace. Ces éléments, combinés, forment un cocktail qui freine la croissance des revenus et maintient l’Italie dans une spirale de faible progression.
Des Entreprises Trop Petites pour Rivaliser
Un des problèmes majeurs de l’économie italienne réside dans la structure de ses entreprises. Contrairement à la France ou à l’Allemagne, où les grandes entreprises dominent, l’Italie repose massivement sur des petites et très petites structures. Ces entités, souvent familiales, représentent une part importante de l’économie, mais elles souffrent de faiblesses structurelles.
« Les petites entreprises italiennes innovent moins, ont du mal à être compétitives et manquent de compétences managériales. »
Andrea Garnero, économiste à l’OCDE
En comparant la productivité des entreprises italiennes à celle de leurs homologues européennes, on constate qu’elle est comparable pour les structures de taille moyenne ou grande. En revanche, les petites entreprises tirent la moyenne vers le bas. Elles manquent de ressources pour investir dans l’innovation, limiter leur compétitivité sur les marchés internationaux et, par conséquent, freinent l’augmentation des salaires. De plus, ces structures offrent peu de perspectives d’évolution, avec un accès restreint aux postes de direction, ce qui limite les opportunités de hauts salaires.
Moins de 10 % des salariés italiens gagnent plus de 40 000 euros brut par an, soit environ 2 200 euros net par mois. Une rareté des hauts salaires qui reflète un tassement des rémunérations.
Un Poids Excessif des Secteurs à Faible Valeur Ajoutée
Un autre facteur clé réside dans la dépendance de l’Italie à des secteurs comme le tourisme et le BTP. Souvent présentés comme les piliers de l’économie nationale, ces secteurs souffrent pourtant de marges faibles et d’emplois souvent saisonniers. Le tourisme, par exemple, est célébré comme « le pétrole de l’Italie », mais il génère des emplois précaires, mal payés et parfois non déclarés. De même, le BTP, bien qu’essentiel, ne permet pas de dégager une valeur ajoutée suffisante pour soutenir une croissance salariale significative.
Ce choix stratégique, renforcé par un narratif valorisant ces secteurs, enferme l’Italie dans une économie à faible productivité. Pendant ce temps, des secteurs comme l’industrie de pointe ou la technologie, qui offrent des marges plus élevées et des salaires plus conséquents, restent sous-exploités. Ce déséquilibre sectoriel limite les opportunités pour les travailleurs et maintient les rémunérations à un niveau modeste.
Secteur | Caractéristiques | Impact sur les salaires |
---|---|---|
Tourisme | Saisonnier, faibles marges | Salaires bas, emplois précaires |
BTP | Projets temporaires, faible valeur ajoutée | Rémunérations limitées |
Industrie de pointe | Innovation, marges élevées | Salaires plus élevés, sous-représenté |
Un Système Syndical en Déroute
Le système de négociation collective en Italie, qui monopolise la fixation des salaires depuis des décennies, montre également ses limites. Environ un tiers des salariés travaillent sous des accords collectifs obsolètes, parfois expirés depuis plusieurs années. Cette rigidité entraîne des retards dans l’ajustement des salaires, notamment face à l’inflation. De plus, les syndicats, souvent influencés par des considérations politiques, peinent à répondre aux besoins concrets des entreprises et des travailleurs.
Ce système, conçu pour protéger les travailleurs, s’est retourné contre eux en créant un décalage entre les réalités économiques et les rémunérations. Les négociations, lentes et parfois déconnectées, ne permettent pas de refléter les dynamiques du marché du travail, contribuant à la stagnation des salaires.
Le Salaire Minimum : Une Solution Manquée ?
L’absence d’un salaire minimum national en Italie est souvent pointée du doigt comme une anomalie. Récemment, le gouvernement de Giorgia Meloni a rejeté une proposition visant à instaurer un tel dispositif. Mais est-ce vraiment la solution miracle ? Selon les experts, une loi unique ne suffirait pas à résoudre un problème aussi complexe. Les causes de la stagnation salariale sont multiples et nécessitent une approche globale.
Plutôt que de se concentrer uniquement sur le salaire minimum, il serait plus efficace de s’attaquer aux causes profondes : la structure des entreprises, la formation et l’innovation. Par exemple, l’Italie produit moitié moins de brevets que la France et cinq fois moins que l’Allemagne, signe d’un retard dans la recherche et le développement. Ce déficit limite la création d’emplois qualifiés et bien rémunérés.
Formation et Fiscalité : les Oubliés de la Réforme
Un autre frein à la hausse des salaires est le manque de formation. L’Italie souffre d’un faible taux de diplômés par rapport à ses voisins européens. Ce déficit de compétences limite l’accès à des emplois à forte valeur ajoutée, où les salaires sont généralement plus élevés. De plus, les investissements dans la recherche et l’innovation restent insuffisants, ce qui empêche le pays de se positionner sur des secteurs porteurs.
La fiscalité joue également un rôle. Les salariés du privé et du public supportent une charge fiscale élevée, tandis que les indépendants et les rentiers bénéficient de nombreuses déductions. Cette disparité pèse sur le pouvoir d’achat des travailleurs et renforce l’attrait pour des investissements immobiliers, souvent perçus comme un moyen de compenser les bas salaires. Cependant, cette stratégie détourne les ressources de la production et de l’innovation.
- Petites entreprises : Faible innovation et compétitivité.
- Secteurs à faible valeur : Tourisme et BTP dominants, marges réduites.
- Syndicats inefficaces : Accords collectifs obsolètes, retards dans les négociations.
- Manque de formation : Peu de diplômés, retard en recherche.
- Fiscalité inéquitable : Charge élevée sur les salariés, avantages pour les rentiers.
Changer le Narratif pour Changer l’Économie
Au-delà des chiffres, la stagnation des salaires italiens est aussi une question de perception. Le narratif autour du tourisme et du BTP comme moteurs économiques est profondément ancré, mais il est trompeur. Ces secteurs, bien que culturellement valorisés, ne peuvent pas porter une économie moderne à eux seuls. À l’inverse, l’industrie, souvent perçue comme désuète, offre des opportunités bien plus prometteuses.
De même, des métiers comme chef cuisinier, popularisés par les médias, attirent les jeunes, mais cachent une réalité de bas salaires et de conditions précaires. Changer ces perceptions pourrait encourager les Italiens à se tourner vers des secteurs plus dynamiques et mieux rémunérés.
Vers des Solutions Structurelles
Pour sortir de cette impasse, l’Italie doit repenser son modèle économique. Cela passe par plusieurs leviers :
- Favoriser la croissance des entreprises : Réduire les obstacles réglementaires pour encourager les fusions et l’expansion des PME.
- Investir dans la formation : Augmenter le nombre de diplômés et renforcer les compétences techniques.
- Stimuler l’innovation : Accroître les investissements en recherche pour rivaliser avec les voisins européens.
- Réformer la fiscalité : Rééquilibrer la charge fiscale pour soutenir les salariés et encourager la productivité.
- Moderniser les syndicats : Rendre les négociations collectives plus flexibles et réactives.
En combinant ces mesures, l’Italie pourrait relancer son moteur économique et offrir à ses travailleurs des perspectives de revenus plus alignées avec celles des autres pays développés. Mais cela demande du courage politique et une vision à long terme.
En conclusion, la stagnation des salaires italiens est le résultat d’un enchevêtrement de facteurs : des entreprises trop petites, une dépendance excessive à des secteurs à faible valeur ajoutée, un système syndical défaillant et un manque d’investissement dans la formation et l’innovation. Si le problème est complexe, les solutions existent. Reste à savoir si l’Italie saura saisir cette opportunité pour redonner du souffle à son économie et à ses travailleurs.