C’est un incident qui illustre à la fois les risques environnementaux liés aux bases militaires étrangères et les défis diplomatiques qui en découlent. Les autorités japonaises ont mené vendredi dernier une inspection surprise sur la base aérienne américaine de Yokota, en plein cœur de Tokyo, après la découverte en octobre dernier d’une grave pollution de l’eau par des produits chimiques cancérigènes en provenance du site.
Des « polluants éternels » dans les nappes phréatiques
Selon un porte-parole du gouvernement japonais, les Américains ont reconnu en octobre qu’une eau contaminée par des « acides perfluorooctanesulfoniques » (PFOS) s’était échappée d’une zone d’entraînement anti-incendie sur la base. Ces composants synthétiques appartiennent à la famille tristement célèbre des PFAS, ces « polluants éternels » qui ne se dégradent pas et s’accumulent à grande vitesse dans l’environnement et notre organisme.
D’après l’Organisation mondiale de la santé, les PFOS sont classés comme « potentiellement cancérigènes pour l’homme ». De quoi susciter une vive inquiétude chez les riverains de la base de Yokota, où sont stationnés plus de 3000 militaires américains et leurs familles.
Le spectre des « Marines toxiques » d’Okinawa
Cet épisode vient raviver le débat sur l’impact environnemental de la présence militaire américaine au Japon, en particulier sur l’île méridionale d’Okinawa. Sur ce petit territoire qui concentre plus de la moitié des 50 000 soldats US dans l’archipel, les habitants dénoncent régulièrement les nuisances et les pollutions liées aux bases.
En 2020 déjà, une eau contaminée aux PFAS avait été détectée près de bases américaines à Okinawa. Un collectif local avait alors dénoncé ces « Marines toxiques » qui mettent en danger la santé des insulaires. Face à la pression, Washington avait promis de revoir ses pratiques environnementales et de transférer une partie des troupes vers l’île américaine de Guam.
Tokyo pris en étau entre écologie et alliance
Mais le dossier de la pollution militaire place le gouvernement japonais dans une position délicate, pris en étau entre les aspirations écologiques légitimes de sa population et les impératifs de l’alliance militaire avec les États-Unis. Tokyo se montre donc prudent dans sa communication.
Cette inspection a été réalisée en réponse aux inquiétudes des résidents locaux, et nous continuerons à travailler avec Washington.
Fumitoshi Sato, porte-parole du gouvernement japonais
Concrètement, que peut faire le Japon ? Juridiquement, les bases US sur son sol jouissent d’un statut d’extraterritorialité qui limite les possibilités d’action des autorités nippones en leur sein. Les inspections comme celle menée à Yokota ne peuvent avoir lieu qu’avec l’accord des forces américaines, et encore moins aboutir à des sanctions.
Vers une plus grande transparence environnementale ?
La seule voie pour Tokyo est donc d’intensifier le dialogue avec son allié américain pour l’inciter à plus de transparence et de responsabilité environnementale sur ses implantations militaires dans l’archipel. À l’heure où la lutte contre la pollution est un enjeu majeur, les armées ne peuvent plus s’exonérer des règles écologiques de base.
L’inspection menée à Yokota, même si elle reste symbolique, est un premier pas pour remettre les enjeux environnementaux au cœur des relations nippo-américaines. Mais du chemin reste à parcourir pour restaurer la confiance des riverains japonais, comme le souligne un expert sous couvert d’anonymat :
Il faut des engagements fermes des Américains pour réduire leur impact écologique, et des moyens donnés aux Japonais pour vérifier leur application. Sinon, la colère continuera de monter localement contre ces bases polluantes.
Un spécialiste des relations nippo-américaines
Un défi environnemental et diplomatique de taille pour Tokyo et Washington, qui teste la solidité de leur alliance au XXIe siècle. L’heure est venue de dépolluer aussi les relations entre alliés, pour les rendre plus transparentes et apaisées. C’est tout l’enjeu des discussions à venir entre responsables japonais et américains sur le dossier crucial des « polluants éternels » made in USA.