L’Espagne est secouée par une vive polémique judiciaire après la divulgation d’une vidéo d’audition particulièrement choquante dans une affaire d’agression sexuelle impliquant un ex-député et figure de la gauche radicale. Le juge en charge du dossier, Adolfo Carretero, se retrouve sous le feu nourri des critiques pour sa gestion plus que douteuse de l’interrogatoire de la plaignante, une actrice et présentatrice de télévision de 36 ans.
Une vidéo d’audition qui choque l’opinion publique
C’est la divulgation lundi dernier dans plusieurs médias espagnols d’extraits vidéo de l’audition menée le 16 janvier dernier par le juge Carretero qui a mis le feu aux poudres. Dans cette séquence, on peut voir le magistrat remettre ouvertement en cause les motivations et l’attitude de la plaignante, Elisa Mouliaá, face à l’homme qu’elle accuse d’agression sexuelle en septembre 2021, un certain Iñigo Errejón, ancien député et co-fondateur du parti Podemos.
Visiblement mal à l’aise, la jeune femme doit ainsi répondre à des questions pour le moins déplacées du type :
Se pourrait-il que vous ayez voulu quelque chose avec cet homme et que, ce dernier ne vous l’ayant pas accordée, vous décidiez de porter plainte maintenant contre lui ?
Ou encore :
Vous êtes une femme habituée à interagir avec le public. Comment avez-vous pu ne pas être capable de lui dire que cette situation n’était pas acceptable ?
Des interrogations qui ont provoqué un tollé dans le pays et suscité l’indignation de nombreuses personnalités politiques, à commencer par plusieurs membres du gouvernement de gauche.
Le gouvernement monte au créneau
« Je me suis sentie blessée en tant que femme, et j’ai l’impression que c’est un sentiment (…) que beaucoup de femmes de ce pays ont éprouvé », a ainsi déclaré mardi la ministre de l’Education et porte-parole du gouvernement, Pilar Alegria, après avoir visionné les images incriminées.
De son côté, le ministre de la Justice Felix Bolaños a estimé qu’il était indispensable que les juges « sachent comment aborder et traiter ce type d’auditions », rappelant au passage qu’une loi récente allait permettre de confier ce genre d’affaires sensibles à des sections spécialisées.
Le Conseil judiciaire ouvre une enquête interne
Face à la bronca généralisée, le Conseil général du pouvoir judiciaire (CGPJ), un organisme de surveillance chargé notamment de garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire, est sorti de son silence. Dans un communiqué publié mercredi, il a annoncé l’ouverture d’une « procédure » à l’encontre du juge Carretero après avoir reçu « plus de 900 plaintes et signalements » le visant.
Une enquête interne qui devra déterminer si le comportement du magistrat lors de cette audition polémique est passible de sanctions. En attendant, cette affaire jette une lumière crue sur la problématique du traitement judiciaire des affaires d’agressions sexuelles et de la nécessaire formation des juges en la matière.
L’accusé, une ancienne figure politique
Quant à l’accusé, il s’agit d’Iñigo Errejón, un ancien poids lourd de la politique espagnole. Co-fondateur en 2014 du parti de gauche radicale Podemos aux côtés de Pablo Iglesias, qui finira par l’évincer quelques années plus tard, ce transfuge avait rejoint le parti d’extrême gauche Sumar, allié des socialistes au sein du gouvernement Sánchez, dont il était jusqu’en octobre dernier le porte-parole.
Fin octobre, dans la foulée des accusations d’agression sexuelle portées contre lui, il avait annoncé sa démission de son poste de député et son retrait de la vie politique, sans pour autant reconnaître les faits qui lui sont reprochés.
Nul doute que cette affaire continuera de faire grand bruit en Espagne, où la question du traitement judiciaire et politique des violences sexuelles reste un sujet particulièrement sensible et scruté. Le juge Carretero n’a sans doute pas fini d’en faire les frais.