Le monde de l’éducation est en ébullition en Syrie. Depuis l’annonce mercredi de changements dans les manuels scolaires par les nouvelles autorités islamistes au pouvoir, une vive polémique agite le pays. Des militants ont vivement dénoncé l’introduction d’idéologies extrémistes dans les programmes, mettant le feu aux poudres. Face à la tempête, le ministre syrien de l’Éducation a tenté jeudi de calmer le jeu, minimisant la portée des modifications apportées. Mais le mal semble déjà fait.
Vers une éducation plus religieuse en Syrie ?
Tout a commencé le 8 décembre dernier, quand une coalition de groupes armés emmenée par des islamistes radicaux a pris le pouvoir à Damas, forçant le président Bachar al-Assad à la fuite. Les nouveaux maîtres du pays n’ont pas perdu de temps pour marquer leur empreinte, y compris dans le domaine éducatif.
Mercredi, le ministère de l’Éducation annonçait sur Facebook une série de changements dans les manuels scolaires. Exit la propagande du parti Baas de l’ancien régime. Mais aussi, plus surprenant, suppression de poèmes sur les femmes et l’amour. À la place, une interprétation très orientée de versets coraniques, désignant juifs et chrétiens comme responsables de la colère divine. La formule « sacrifier sa vie pour la patrie » a même été remplacée par « sacrifier sa vie pour la cause de Dieu ». De quoi faire bondir nombre d’observateurs.
Des militants tirent la sonnette d’alarme
La polémique n’a pas tardé à enfler sur les réseaux sociaux. Des voix se sont élevées pour dénoncer ce qui s’apparente à un « ciblage » de certaines communautés et une dérive vers « des idéologies extrémistes ». Parmi elles, le militant kurde yézidi Shiyar Khaleal, pour qui ces changements sont « non seulement un danger éducatif, mais une menace à long terme pour le tissu social et l’avenir de la Syrie ».
« L’éducation fondée sur des idéologies extrémistes peut façonner des individus dont les idées menacent la sécurité régionale et internationale. »
Shiyar Khaleal, militant et journaliste kurde yézidi
Le pouvoir joue l’apaisement, pour l’instant
Sentant le vent tourner, le nouveau pouvoir a réagi rapidement par la voix du ministre de l’Éducation, Nazir Al-Qadri. Celui-ci a cherché à minimiser l’ampleur des modifications, affirmant qu’elles se limitaient à « la suppression des parties glorifiant le régime déchu d’Assad ». Il a aussi reconnu la correction d' »informations incorrectes » dans le programme d’éducation islamique.
« Certains versets coraniques étaient expliqués de manière erronée. Les programmes de toutes les écoles syriennes resteront tels quels jusqu’à ce que des comités spécialisés soient formés pour les examiner. »
Nazir Al-Qadri, ministre syrien de l’Éducation
Le nouveau régime, conscient d’être sous les projecteurs de la communauté internationale, tente depuis son arrivée au pouvoir de rassurer les minorités. Mais ces changements dans l’éducation risquent de faire resurgir les inquiétudes.
Un débat qui ne fait que commencer
Cette polémique sur les manuels scolaires ne fait sans doute qu’ouvrir un débat plus large sur la place de la religion dans la société syrienne post-Assad. Entre volonté de rupture avec l’ancien régime et tentation d’imposer une vision rigoriste de l’islam, le nouveau pouvoir marche sur un fil.
Certains y voient déjà le signe d’une islamisation rampante de l’éducation, avec le risque de creuser les fractures communautaires dans un pays déjà profondément divisé. Pour d’autres, ces ajustements étaient prévisibles avec l’arrivée au pouvoir d’une coalition à dominante islamiste.
Une chose est sûre : tous les faits et gestes du nouveau régime seront scrutés de près, en Syrie comme à l’international. Et le dossier sensible de l’éducation promet d’autres étincelles dans les mois à venir.
