C’est une décision qui ne passe pas inaperçue et soulève de vifs débats dans les Landes. Le mardi 8 octobre dernier, la compagnie de théâtre belge Point Zéro était invitée à se produire à l’Atrium de Dax pour présenter un spectacle de marionnettes queers, une adaptation audacieuse du “Songe d’une nuit d’été” mise en scène par Jean-Michel D’Hoop. Plusieurs établissements scolaires landais avaient réservé des places pour leurs élèves, mais au final, près de 180 jeunes ont brillé par leur absence.
Selon nos informations, c’est la direction du lycée privé catholique Saint-Jacques-de-Compostelle qui a pris la décision de ne pas envoyer ses élèves assister à la représentation, quelques jours seulement avant celle-ci. Les responsables de l’établissement ont évoqué une “mise en scène difficile d’accès” et un “message véhiculé sur le genre et la sexualité qui ne semblait pas adapté au projet éducatif et pastoral” défendu par l’établissement. Le chef d’établissement, Emmanuel Ortolo, affirme avoir pris “conscience de la teneur exacte de cette représentation présentée comme ‘cassant les frontières entre le masculin et le féminin'”.
Une pièce qui questionne les définitions du genre
La pièce en question, librement adaptée de l’œuvre de Shakespeare, se veut en effet transgressive et avant-gardiste dans son traitement des questions de genre et d’identité. Mêlant théâtre, marionnettes et univers queer, elle “ne se cache pas de jouer avec les définitions du genre” comme le soulignent ses créateurs. Un parti-pris artistique fort qui n’a visiblement pas trouvé grâce aux yeux de la direction du lycée Saint-Jacques-de-Compostelle, soucieuse de préserver son projet éducatif empreint des valeurs catholiques traditionnelles.
Un sujet clivant qui divise la communauté éducative
Cette décision unilatérale de la part de l’établissement privé a suscité de vives réactions, certains dénonçant une forme de censure et un manque d’ouverture, tandis que d’autres saluent la fermeté de l’établissement face à un spectacle jugé “inadapté” pour un jeune public. Au sein même de la communauté éducative, les avis divergent sur la pertinence d’exposer ou non les lycéens à des œuvres bousculant les codes et les représentations dominantes.
On ne peut pas imposer ce genre de contenu potentiellement déstabilisant à des adolescents sans un vrai travail de préparation et d’accompagnement en amont.
Un parent d’élève du lycée Saint-Jacques
D’autres au contraire, regrettent une occasion manquée d’ouvrir le dialogue sur ces questions de société majeures et de confronter les jeunes à une diversité de points de vue artistiques :
Le rôle de l’école est aussi de former des citoyens ouverts et tolérants, capables d’appréhender la complexité du monde. En les privant de ce spectacle, on les enferme dans une vision unique et étriquée.
Un professeur de lettres d’un lycée voisin
Au cœur des tensions entre liberté d’expression artistique et prérogatives des établissements privés
Au-delà du seul cas de ce lycée dacquois, cet épisode illustre les tensions récurrentes entre la liberté de création et d’expression artistique d’une part, et les prérogatives des établissements privés, notamment confessionnels, dans la définition de leur ligne éducative d’autre part. Jusqu’où un établissement scolaire peut-il aller dans le “tri” des contenus culturels proposés à ses élèves au nom de son projet spécifique ? Et à l’inverse, dans quelle mesure les créateurs et les structures culturelles doivent-ils ou peuvent-ils adapter leurs propositions aux sensibilités particulières de leur public scolaire ?
Des questions épineuses, qui interrogent la place de l’art et de la culture dans le parcours éducatif, ainsi que le nécessaire équilibre entre le respect des convictions de chacun et l’indispensable ouverture au monde et à sa diversité qu’on est en droit d’attendre de l’école, fusse-t-elle privée. À Dax, la polémique autour de ce spectacle “queer” a en tout cas le mérite de mettre ces enjeux fondamentaux sur le devant de la scène, espérons que le dialogue et la réflexion collective sauront prévaloir sur les anathèmes et les postures.
Dans l’immédiat, la compagnie Point Zéro a fait savoir qu’elle maintenait ses représentations prévues, fortes du soutien renouvelé de la municipalité et de nombreux enseignants et parents d’élèves. Preuve que l’art, même dérangeant, demeure un vecteur essentiel d’émancipation et de réflexion pour notre jeunesse. À suivre, donc.