Au cœur du Donbass, dans l’Est ukrainien, la cité minière de Pokrovsk vit ses derniers jours. Malgré l’approche inexorable des troupes russes, dont l’artillerie gronde à seulement deux kilomètres, une poignée d’irréductibles parmi les 10 000 habitants restants refuse encore de quitter cette ville stratégique pour l’Ukraine, clé pour son industrie de la coke.
Dans les rues de Pokrovsk, balayées par les débris et les glapissements apeurés des chiens errants, quelques personnes âgées affichent une étonnante impassibilité face au bruit des explosions. Assis à un arrêt de bus obsolète ou dans l’une des rares épiceries encore ouvertes, ces résidents semblent s’être accoutumés au fracas de la guerre. « Rien de spécial », lâche même Svitlana, 51 ans, lorsque retentit une nouvelle salve.
Une ville au bord du précipice
Pourtant, derrière cette apparente résignation se cache une profonde inquiétude. Car si beaucoup pensaient Pokrovsk protégée et s’attendaient à une véritable bataille pour défendre la ville, la rapidité de l’avancée russe a pris tout le monde de court. Un coup dur pour cette cité dont l’importance stratégique, tant sur le plan militaire qu’économique, est cruciale pour l’Ukraine.
Les stigmates de la guerre sont partout visibles à Pokrovsk. Ponts effondrés, bâtiments soviétiques éventrés, l’ampleur des bombardements ne laisse aucun doute sur la violence des combats. Signe d’une ville à l’agonie, les banques ont fermé depuis septembre, la gare est à l’abandon et l’approvisionnement en gaz a cessé début décembre. Même les installations minières, si vitales pour l’industrie sidérurgique ukrainienne, commencent à mettre la clé sous la porte.
L’université de Pokrovsk, symbole d’une histoire balayée
L’université locale, dont le bâtiment principal n’est plus que ruines, incarne à elle seule le destin tragique de Pokrovsk. Olga Bogomaz, professeure agrégée, se souvient avec émotion de sa dernière visite en août, au lendemain de l’attaque dévastatrice: « J’ai compris ce jour-là que c’était la fin. Ils n’ont pas seulement détruit le bâtiment. Ils ont détruit son histoire et les espoirs des enseignants et des étudiants de pouvoir y retourner ». Une blessure d’autant plus vive pour celle qui a vécu le soulèvement des séparatistes prorusses du Donbass en 2014.
Des défenses fragilisées, la chute semble inéluctable
Face à l’offensive russe, la défense ukrainienne semble impuissante. Manque d’effectifs et de moyens, responsabilité des généraux, retard dans les livraisons d’équipements… Les raisons de la débâcle sont multiples selon les experts militaires. « Tout le monde a accepté le fait que les Russes vont entrer dans Pokrovsk », confie un soldat ukrainien suivi par 200 000 personnes sur les réseaux sociaux. Une analyse partagée par Gypsie, tankiste de 34 ans en poste à la périphérie de la ville, qui prédit l’imminence de « batailles de rue ».
Un exode dans l’urgence et l’incertitude
Face à cette situation, Anna, étudiante de 21 ans, a fini par se résoudre à fuir avec sa mère, entassant en catastrophe quelques affaires dans un fourgon blindé criblé d’impacts. Direction Kiev, une ville où la jeune femme n’a jamais mis les pieds et ne connaît personne. Un départ précipité et teinté d’angoisse, à l’image de celui de nombreux habitants pour qui rester est devenu trop dur. « Certains ne partent qu’au dernier moment. Il fait froid dans les appartements. Tout tombe en ruine. C’est la misère », témoigne Anna, dont le seul espoir est de pouvoir un jour retrouver sa maison. À condition que Pokrovsk « fasse toujours partie de l’Ukraine ».
Entre résilience et fatalisme, la cité minière de Pokrovsk vit ainsi ses dernières heures ukrainiennes. Un bastion du Donbass sur le point de tomber, dont le destin tragique symbolise celui d’une région déchirée par des années de conflit. Mais aussi le visage d’une population qui, dans l’adversité, s’accroche envers et contre tout à sa terre. Un combat désespéré pour préserver une identité menacée par les bombes, aussi incertain soit-il.