Dans une Russie où toute critique de la guerre en Ukraine est sévèrement réprimée, Alexandra Popova vit dans la peur. Son mari, le poète Artyom Kamardin, a été condamné à sept ans de prison pour avoir récité des textes antiguerre. Battue et humiliée lors de l’arrestation de son époux, la trentenaire témoigne aujourd’hui de la cruauté du régime et implore les gouvernements occidentaux d’agir.
Une lecture publique antiguerre qui vire au cauchemar
En septembre 2022, sur une place de Moscou connue comme lieu de rassemblement des opposants, Artyom Kamardin, 34 ans, récite son poème « Tue-moi, milicien ! ». Un texte écrit en 2015 condamnant l’invasion russe en Ukraine, où la guerre a commencé en 2014.
La répression ne se fait pas attendre. Dès le lendemain, des membres des forces de l’ordre font irruption chez le couple et les passent à tabac. Durant son arrestation, filmée par ses tortionnaires, le poète est agressé sexuellement avec une poignée d’haltère. « Il y avait beaucoup de sang », raconte Alexandra Popova à l’AFP, encore traumatisée.
De poète à prisonnier politique
Artyom Kamardin est finalement condamné en décembre 2023 à sept ans de détention pour incitation à la haine et atteinte à la sécurité nationale. Un autre poète présent lors de la lecture, Yegor Shtovba, 23 ans, écope de cinq ans et demi de prison.
Depuis les geôles russes, Kamardin explique dans une déclaration que sa poésie l’aide à réfléchir sur « la transformation de [son] pays natal en dictature fasciste ». Il dénonce : « Je suis né dans une Russie libre. Ce pays n’existe plus, il a été tué et dévoré par le monstre qui se nomme désormais la Russie. »
Les gens meurent dans les prisons russes.
Alexandra Popova, épouse d’Artyom Kamardin
La peur constante pour la vie de son mari
Ayant perdu son procès en appel, le poète doit maintenant être transféré dans une colonie pénitentiaire. Des lieux où, selon les ONG, les droits des détenus sont constamment bafoués. « J’ai peur qu’ils le tuent », confie son épouse. Le spectre de la mort en détention plane, comme ce fut le cas pour l’opposant Alexeï Navalny en 2024.
Alexandra raconte que son mari se plaint de graves problèmes physiques et psychologiques depuis les tortures subies. Il aurait été prévenu : « Tiens-toi tranquille, ou ils te tueront ».
La société russe gangrenée par la délation
Membre d’un collectif de soutien aux prisonniers politiques, la jeune femme décrit une Russie méconnaissable, où « la société est devenue cruelle » et où « les gens se dénoncent entre eux ». Depuis l’invasion de l’Ukraine, la répression s’est accrue : médias muselés, ONG démantelées, opposants emprisonnés ou exilés.
Malgré tout, le Kremlin persiste à nier toute répression. Valery Fadeyev, chef du Conseil pour les droits humains, a affirmé que la Russie étant « en guerre contre l’Occident », « des restrictions minimales contre ceux qui prennent le parti de l’ennemi » étaient de simples « mesures sanitaires ».
Un appel désespéré aux gouvernements occidentaux
Pour Alexandra Popova, la seule issue pour sauver son mari et les autres « victimes de guerre » est « l’échange de prisonniers politiques ». Elle appelle les dirigeants occidentaux à négocier de nouveaux échanges avec Moscou, comme celui d’août dernier qui a permis la libération de 16 détenus contre 10 Russes incarcérés aux États-Unis et en Europe.
Refusant de s’exiler pour rester proche de son époux, elle vit dans l’angoisse : « Je dois être près de lui ». Son témoignage est un cri d’alarme sur la dérive autoritaire du régime russe, qui broie les voix dissidentes dans l’indifférence. Un régime prêt à tout pour faire taire ceux qui, comme Artyom Kamardin, osent encore dénoncer l’impensable par la poésie.