ActualitésCulture

Plaintes Contre Kamel Daoud et Son Épouse Psychiatre en Algérie

L'écrivain Kamel Daoud et sa femme psychiatre sont visés par deux plaintes en Algérie. Ils sont accusés d'avoir dévoilé et utilisé l'histoire d'une patiente pour le roman "Houris", récompensé par le Prix Goncourt 2024. Une affaire qui soulève des questions sur le secret médical et la liberté d'expression artistique...

Un scandale secoue le monde littéraire algérien. L’auteur franco-algérien Kamel Daoud et son épouse psychiatre font l’objet de deux plaintes les accusant d’avoir violé le secret médical et utilisé sans autorisation l’histoire d’une patiente pour le roman « Houris », récemment couronné par le prestigieux Prix Goncourt 2024. Une affaire explosive qui soulève des questions éthiques sur les limites de l’inspiration artistique.

Une Rescapée du Terrorisme Accuse l’Écrivain de Plagiat

Selon des sources proches du dossier, c’est Saâda Arbane, une femme ayant survécu à un massacre lors de la sanglante guerre civile algérienne des années 1990, qui est à l’origine de cette affaire. Apparaissant sur une chaîne de télévision algérienne, elle a affirmé avoir reconnu son propre vécu dans les pages de « Houris » : sa tentative d’égorgement par des islamistes armés, sa canule pour respirer et parler, ses cicatrices, ses tatouages, son salon de coiffure… Autant de détails intimes qu’elle accuse l’épouse de Kamel Daoud, la psychiatre Aicha Dehdouh, d’avoir transmis à l’écrivain sans son accord.

Deux plaintes distinctes ont ainsi été déposées en août dernier au tribunal d’Oran, ville de résidence de Kamel Daoud, par l’avocate Fatima Benbraham. L’une au nom de Saâda Arbane elle-même, l’autre au nom de l’Organisation nationale des victimes du terrorisme. Les chefs d’accusation sont lourds : violation du secret médical, diffamation des victimes du terrorisme, et non-respect de la loi sur la réconciliation nationale qui interdit toute publication sur la période de la guerre civile.

La Liberté de Création en Question

Face à cette polémique, Kamel Daoud n’a pas encore réagi publiquement. Mais son éditeur français Gallimard a pris sa défense, dénonçant des « campagnes diffamatoires orchestrées par certains médias proches d’un régime dont nul n’ignore la nature ». Si la maison d’édition reconnaît que le roman s’inspire de faits tragiques survenus pendant la guerre civile, elle affirme néanmoins que « son intrigue, ses personnages et son héroïne sont purement fictionnels ».

Cette affaire ravive le débat sur les frontières entre réalité et fiction, entre témoignage et roman. Jusqu’où un auteur peut-il puiser dans des histoires vraies, dans des traumatismes vécus, pour nourrir son œuvre ? Le respect de la vie privée et de la souffrance des victimes doit-il primer sur la liberté de création ?

Au-delà d’un Cas Individuel, des Blessures Collectives

Mais au-delà du cas individuel de Saâda Arbane, ces plaintes mettent en lumière les blessures encore vives laissées par la décennie noire algérienne et ses quelque 200 000 morts. Des blessures que la loi sur la réconciliation nationale, en imposant l’amnésie et l’amnistie, n’a pas permis de refermer. Comme si, près de 20 ans après la fin officielle du conflit, la société algérienne n’était pas encore prête à voir son histoire ainsi mise en fiction, disséquée par la littérature.

L’écrivain et journaliste Kamel Daoud, connu pour son roman « Meursault, contre-enquête » et ses prises de position courageuses en faveur de la liberté d’expression, se retrouve ainsi au cœur d’une polémique qui le dépasse. Son « Houris », qui devait être une ode à la résilience des femmes algériennes, est devenu malgré lui le symbole d’une mémoire confisquée, d’une parole muselée.

Il revient désormais à la justice de faire la lumière sur cette affaire, de déterminer s’il y a eu ou non violation du secret professionnel et atteinte à la vie privée. Mais quelle que soit l’issue judiciaire, ce scandale aura révélé les écueils et les défis d’écrire sur l’Algérie d’après la guerre civile, de transformer ce matériau brut et douloureux en littérature. Un défi que Kamel Daoud, avec talent mais peut-être aussi une certaine imprudence, a voulu relever. Au risque de raviver les plaies mal cicatrisées de son pays.

Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.