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Plainte contre la Banque de France pour Complicité de Génocide au Rwanda

En plein génocide des Tutsi, la Banque de France a-t-elle délibérément fermé les yeux sur des virements destinés à armer les bourreaux ? Une plainte déposée à Paris relance le débat sur la responsabilité des institutions financières. Et si les « criminels en col blanc » étaient aussi coupables que ceux à la machette ?

Imaginez un bureau calme, quelque part dans Paris, au printemps 1994. Les téléphones sonnent, les télex crépitent, et pendant ce temps, à des milliers de kilomètres, des centaines de milliers de personnes sont massacrées. Et si, entre deux cafés, un fonctionnaire avait simplement validé un virement qui allait permettre d’acheter des armes ou de maintenir les communications des génocidaires ? Trente et un ans après, cette question hante encore.

Une plainte qui secoue la Banque de France

Décembre 2025. Une plainte pour complicité de génocide et crimes contre l’humanité est déposée contre la banque centrale française. Les plaignants ? Des survivants, des associations, des citoyens ordinaires qui refusent l’oubli. Leur cible : une institution que l’on croyait intouchable.

Ils reprochent à la Banque de France d’avoir laissé passer, entre mai et juillet 1994, sept transferts bancaires au profit de la Banque nationale du Rwanda. Des opérations effectuées alors même que l’ONU avait décrété, le 17 mai 1994, un embargo total sur les armes à destination du Rwanda.

Des virements en plein cœur du chaos

Le montant total ? Plus de 3,17 millions de francs de l’époque – environ 486 000 euros d’aujourd’hui. Une somme qui, à l’échelle d’un pays en guerre, peut faire la différence entre la vie et la mort de milliers de personnes.

Parmi les bénéficiaires, on retrouve des noms qui font froid dans le dos :

  • Une grande entreprise française de télécommunications, soupçonnée d’avoir fourni des téléphones satellites au gouvernement intérimaire rwandais.
  • Des ambassades du Rwanda en Égypte et en Éthiopie, connues pour avoir servi de canaux d’approvisionnement en armes.
  • D’autres destinataires aux contours flous, mais aux usages plus que suspects.

Pour les plaignants, il n’y a aucun doute : ces fonds ont servi, directement ou indirectement, à alimenter la machine génocidaire.

« Elle savait forcément ! »

Alain Gauthier, cofondateur du Collectif des parties civiles pour le Rwanda

Alain Gauthier et sa femme Dafroza traquent les responsables du génocide depuis plus de trente ans. Pour eux, en mai 1994, plus personne en Europe – et encore moins en France – ne pouvait ignorer l’horreur qui se déroulait au Rwanda.

L’embargo de l’ONU bafoué en toute connaissance ?

Le 17 mai 1994, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte la résolution 918. Objectif : couper immédiatement tout approvisionnement en armes au régime extrémiste hutu. En théorie, plus aucun paiement lié à des équipements militaires ne doit transiter par les circuits bancaires internationaux.

Mais dans les faits ? Plusieurs banques européennes refusent d’exécuter les ordres de paiement en provenance de Kigali. Pas la Banque de France. Elle valide. Elle transfère. Elle laisse passer.

Et ce n’est pas tout. Le compte de la Banque nationale du Rwanda n’est même pas gelé. Il reste actif, opérationnel, utilisable. Comme si de rien n’était.

Les « criminels en col blanc » au cœur du système

Les avocats des parties civiles sont clairs : le génocide n’a pas été commis uniquement par ceux qui maniaient la machette dans les collines rwandaises.

« Le génocide des Tutsi n’a pas seulement été l’œuvre de ceux qui tuaient à la machette. Il a été rendu possible par une multitude de criminels en col blanc, qui, confortablement assis dans leurs bureaux, ont autorisé des transferts et signé des opérations dans la banalité administrative. »

Cette phrase résonne comme un uppercut. Elle rappelle que la responsabilité pénale ne s’arrête pas aux frontières du Rwanda. Elle peut s’étendre à ceux qui, loin du sang, ont fourni les moyens logistiques et financiers.

Des téléphones satellites pour coordonner les massacres. Des fonds pour payer des mercenaires. Des armes acheminées via des pays tiers. Tout cela nécessite de l’argent. Et cet argent a transité.

La réponse embarrassée de la Banque de France

Contactée après le dépôt de la plainte, l’institution se retranche derrière un argument technique : les archives de 1994 ont été détruites. Conformément à la réglementation, les documents bancaires ne sont conservés que dix ans.

Aucun bordereau, aucun justificatif, aucune trace. Le vide. Le silence administratif.

Mais pour les plaignants, cette absence de preuves n’est pas une preuve d’absence. D’autres institutions, d’autres témoins, d’autres documents existent. La justice saura les trouver.

Un précédent qui fait trembler : l’affaire BNP Paribas

Ce n’est pas la première fois qu’une grande institution financière française est mise en cause. Depuis 2017, le groupe BNP Paribas fait l’objet d’une enquête pour complicité de génocide. Motif ? Avoir financé, en 1994, un achat de 80 tonnes d’armes destinées aux milices Interahamwe.

Huit ans plus tard, l’enquête est toujours en cours. Un signe que ces dossiers sont complexes, longs, douloureux. Mais aussi qu’ils avancent.

Aujourd’hui, c’est au tour de la Banque de France d’entrer dans le viseur judiciaire. Et demain ? D’autres établissements ? D’autres pays ? La liste des complices potentiels est longue.

Pourquoi maintenant ? Pourquoi encore ?

On pourrait se demander : trente et un ans après, à quoi bon remuer le passé ? La réponse est simple : tant que justice n’est pas rendue, le génocide continue de produire ses effets. Dans les mémoires. Dans les familles. Dans les silences coupables.

Les survivants vieillissent. Les témoins disparaissent. Les archives s’effacent. Chaque année qui passe rend la vérité plus fragile. Alors oui, il faut agir maintenant. Avant qu’il ne soit trop tard.

Et puis il y a cette idée, plus profonde : un génocide ne s’arrête pas le jour où les massacres cessent. Il continue tant que ses soutiens, ses facilitateurs, ses complices par omission n’ont pas été jugés.

Vers une nouvelle jurisprudence internationale ?

Si cette plainte aboutit, elle pourrait créer un précédent majeur. Pour la première fois, une banque centrale serait reconnue pénalement responsable dans le cadre d’un génocide.

Ce serait une révolution juridique. Une reconnaissance que la responsabilité universelle ne concerne pas seulement les États ou les individus armés, mais aussi les institutions financières qui, par leurs actes ou leurs abstentions, ont rendu possible l’irréparable.

Ce serait aussi un message envoyé au monde entier : personne n’est à l’abri de la justice. Ni les bourreaux. Ni ceux qui ont fermé les yeux. Ni ceux qui ont signé, en bas de page, un simple bon de virement.

Le génocide des Tutsi au Rwanda a fait plus de 800 000 morts en cent jours. Derrière ce chiffre, il y a des noms, des visages, des vies fauchées. Et derrière ces vies, il y a des responsabilités. Partout dans le monde.

Aujourd’hui, une plainte déposée à Paris rappelle que la mémoire n’est pas négociable. Et que la justice, même tardive, reste possible.

À suivre.

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