Qui n’a jamais rêvé de vivre mille vies en une seule ? Philippe Labro, cet homme aux multiples casquettes, a incarné ce rêve avec une énergie débordante. Journaliste, écrivain, cinéaste, parolier, il a traversé le XXe siècle comme un aventurier de la culture, laissant une empreinte indélébile dans le journalisme, la littérature et le cinéma français. Sa disparition à l’âge de 88 ans marque la fin d’une époque, mais son héritage continue d’inspirer.
Un Homme aux Mille Vies
Né à Montauban, dans le Tarn-et-Garonne, Philippe Labro a grandi dans une famille marquée par des valeurs humanistes. Ses parents, reconnus Justes parmi les nations pour avoir caché des juifs pendant l’Occupation, lui ont transmis une morale inflexible. Dès son plus jeune âge, il nourrissait une passion pour l’écriture, un désir qui l’a conduit bien au-delà des frontières de sa ville natale.
Son parcours scolaire, qu’il qualifiait lui-même de moyen, ne laissait pas présager une carrière aussi éclatante. Pourtant, c’est sur les terrains de rugby de Montauban qu’il forgeait son caractère, une passion pour le ballon ovale qu’il conservera toute sa vie. À 18 ans, une bourse Fulbright lui ouvre les portes des États-Unis, un pays qui deviendra sa seconde patrie et une source d’inspiration inépuisable.
L’Amérique, une Passion Dévorante
Le voyage de Labro aux États-Unis, à bord du mythique Queen Mary, marque un tournant. Il traverse le pays en stop, s’imprègne de sa culture et étudie en Virginie. Cette expérience, qu’il portait comme une médaille avec sa chevalière en lapis-lazuli aux armes de l’université de Lexington, a façonné son regard. L’Amérique, avec ses contrastes et son dynamisme, devient un fil rouge dans son œuvre.
« L’Amérique était son Rosebud », une obsession qui transparaît dans ses écrits et ses films.
De retour en France, il se lance dans le journalisme avec une audace qui détonne. Ses chemises oxford et ses chaussures à talons biseautés surprennent dans les rédactions parisiennes. Repéré par Pierre Lazareff, il décroche une commande pour une biographie d’Al Capone, puis intègre les rangs d’un grand quotidien. Son premier portrait ? Blaise Cendrars, qu’il interviewe autour d’un verre de vin blanc.
Le Journalisme : Une Vocation Précoce
Le journalisme devient rapidement le terrain de jeu de Labro. Reporter intrépide, il couvre des faits divers, interroge des stars et suit les grands événements de son époque. En 1960, l’armée l’envoie en Algérie, où il collabore à un journal militaire. Cette expérience inspire son premier roman, Des feux mal éteints, un récit nostalgique qui pose les bases de son style littéraire, mêlant introspection et observation sociale.
Dans les années 60, il est partout : à la radio, dans les magazines, à la télévision avec l’émission Cinq colonnes à la une. Il couvre l’assassinat de Kennedy, fréquente des figures comme Jean-Pierre Melville, et enquête sur les blousons noirs. Son style, vif et incisif, capte l’air du temps.
Labro avait l’art de transformer chaque expérience en une histoire captivante, qu’il s’agisse d’un reportage ou d’un roman.
Le Cinéma : Une Aventure Visuelle
Le cinéma, inévitablement, attire cet homme aux mille curiosités. En 1969, il réalise Tout peut arriver, un film qui mêle l’énergie de la Nouvelle Vague à une sensibilité très personnelle. Fabrice Luchini y fait ses débuts, dans un rôle qui annonce déjà son exubérance. Le film, avec ses dialogues percutants et ses références à Hemingway ou Godard, séduit la critique.
Labro enchaîne avec des polars audacieux. Sans mobile apparent (1971), avec Jean-Louis Trintignant, pose les jalons d’un style nerveux et atmosphérique. L’Héritier (1973), porté par Jean-Paul Belmondo, connaît un succès retentissant, transformant Labro en cinéaste incontournable. Ses films, souvent ancrés dans des décors urbains, capturent l’essence des années 70.
Film | Année | Acteurs principaux |
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Tout peut arriver | 1969 | Fabrice Luchini, Chantal Goya |
Sans mobile apparent | 1971 | Jean-Louis Trintignant, Dominique Sanda |
L’Héritier | 1973 | Jean-Paul Belmondo |
L’Alpagueur | 1976 | Jean-Paul Belmondo |
L’Écrivain : Une Voix Intemporelle
Si le cinéma lui a offert une tribune, c’est dans l’écriture que Labro a trouvé son refuge. Avec une vingtaine d’ouvrages à son actif, il a exploré des genres variés, du roman autobiographique au polar. L’Étudiant étranger (1986), couronné par le prix Interallié, raconte son aventure américaine avec une nostalgie poignante. Un été dans l’Ouest (1988) frôle le Goncourt, confirmant son talent.
Ses livres, souvent introspectifs, abordent des thèmes universels : la quête d’identité, la mémoire, l’amour. Dans Tomber sept fois, se relever huit (2003), il évoque avec courage sa lutte contre la dépression, offrant un témoignage bouleversant. Son dernier roman, Deux gimlets sur la 5e Avenue (2024), explore les retrouvailles d’anciens amants, prouvant que son inspiration ne s’éteignait jamais.
« La nostalgie n’a rien de triste, c’est le souvenir de ce qui fut et ne reviendra pas. »
Philippe Labro
Un Parolier au Service des Icônes
Labro n’était pas seulement un homme de mots écrits. Il a aussi prêté sa plume à des artistes légendaires. Pour Johnny Hallyday, il signe des chansons comme Jésus Christ est un hippie ou Oh ! ma jolie Sara. Pour Jane Birkin, il écrit Lolita go home. Ces textes, ancrés dans leur époque, vibrent encore dans la mémoire collective.
Il s’amuse même à publier sous pseudonyme. Sous le nom de Stéphanie, il rédige Des cornichons au chocolat, un roman dans la peau d’une adolescente. Cette facétie montre l’étendue de son talent : Labro pouvait tout faire, tout explorer.
- Journalisme : Des reportages percutants sur Kennedy ou les blousons noirs.
- Cinéma : Des polars nerveux avec Belmondo et Trintignant.
- Littérature : Des romans introspectifs et universels.
- Musique : Des paroles pour Hallyday et Birkin.
Un Homme de Médias
Labro n’a jamais cessé d’innover. Dans les années 80, il dirige les programmes d’une grande radio, puis prend les rênes d’une chaîne de télévision. Avec Vincent Bolloré, il crée une chaîne novatrice, Direct 8, et anime L’Essentiel, une émission qui réunit les créateurs de son temps. Son insatiable curiosité le pousse à lire tous les journaux, à assister à des concerts, à remplir ses carnets de citations.
Son amour pour le rugby ne faiblit jamais. Fidèle spectateur du tournoi des Six Nations, il incarnait une élégance à la française, teintée d’une touche d’Amérique. Ses SMS, signés de noms d’acteurs hollywoodiens, étaient une signature pleine d’humour.
Les Épreuves d’une Vie
Labro n’a pas été épargné par les épreuves. Dans La Traversée (1996), il raconte sa lutte contre la maladie. Sa dépression, qu’il évoque dans Tomber sept fois, se relever huit, révèle un homme vulnérable mais résilient. Ces combats personnels enrichissent son œuvre, lui donnant une profondeur universelle.
Son amitié avec des figures comme Jean-Pierre Melville ou Tom Wolfe témoigne de son rayonnement. Il croise J.D. Salinger dans une gare new-yorkaise, dîne avec Melville au moment de sa mort brutale. Ces anecdotes, qu’il racontait avec malice, faisaient de lui un conteur hors pair.
Un Héritage Intemporel
Philippe Labro laisse derrière lui un héritage foisonnant. Ses films, ses livres, ses chansons continuent de résonner. Il a su capturer l’âme d’une époque, tout en restant intemporel. Son amour pour l’Amérique, son attachement à Montauban, sa passion pour le rugby et l’écriture forment un tableau riche et nuancé.
Que retenir de cet homme ? Une capacité à transformer chaque expérience en une œuvre d’art, une curiosité insatiable, une élégance rare. Labro était un passeur, un homme qui reliait les cultures, les époques, les genres. Son départ laisse un vide, mais ses créations continuent de vivre.
Philippe Labro : un homme qui a su faire chanter les mots, les images et les émotions.
Et si, comme il le disait, « il arrive un jour où on a le droit d’être intelligent » ? Labro a prouvé que l’intelligence, c’est avant tout une question de cœur, de curiosité et de générosité. Son histoire, c’est celle d’un homme qui n’a jamais cessé de chercher, d’aimer et de créer.