Quand un monstre se cache derrière le rideau rouge, le spectacle devient cauchemar.
Philippe Caubère, figure incontournable du théâtre français, couronné trois fois aux Molières, vient de voir son nom associé à l’un des dossiers judiciaires les plus lourds du milieu culturel : une inculpation pour proxénétisme, ajoutée à des poursuites déjà en cours pour viols, agressions sexuelles et corruption de mineurs.
Une nouvelle accusation qui fait vaciller une icône
Fin novembre, le parquet de Créteil a confirmé l’inculpation du comédien de 75 ans pour proxénétisme. Les faits reprochés sont particulièrement graves : il aurait contraint une plaignante à se prostituer durant plusieurs années en publiant lui-même des photos d’elle sur des sites d’escorting.
Cette procédure s’ajoute à un dossier déjà extrêmement chargé. Philippe Caubère est en effet mis en examen depuis février 2024 pour des viols et agressions sexuelles sur deux jeunes femmes, dont l’une était mineure au moment des faits, ainsi que pour corruption de mineure sur une troisième victime entre 2019 et 2021.
Des témoignages accablants
L’une des plaignantes, la comédienne Agathe Pujol, a décrit publiquement des viols qu’elle qualifie d’« organisés plusieurs fois par semaine » entre 2011 et 2018. Selon ses déclarations, Philippe Caubère assistait aux actes, photographiait les scènes et les dirigeait.
« J’estime avoir été violée par des centaines d’hommes »
Agathe Pujol
Ces mots, prononcés dans une interview en janvier dernier, ont profondément marqué l’opinion et contribué à relancer l’examen des pratiques dans le milieu théâtral.
Un passé déjà entaché avec des mineures
Philippe Caubère a reconnu avoir entretenu une relation intime de quatre mois en 2012 avec une jeune fille alors âgée de 16 ans. Il affirme qu’elle était consentie. La justice, elle, a retenu la qualification de viol sur mineur et corruption de mineure.
Une troisième victime, mineure au moment des faits présumés entre 2019 et 2021, a également porté plainte pour corruption de mineure de plus de 15 ans.
Ces éléments, cumulés à l’inculpation récente pour proxénétisme, dessinent le portrait d’un prédateur présumé agissant sur une période de plus de dix ans.
Le Théâtre du Soleil rattrapé par les ombres
Philippe Caubère a bâti l’essentiel de sa légende au sein du mythique Théâtre du Soleil, aux côtés d’Ariane Mnouchkine, de 1970 à 1977. Sa rupture avec la troupe, qualifiée par lui-même de « violente, sentimentale, passionnelle », a marqué les esprits.
Mais l’affaire ne s’arrête pas à l’acteur. Agathe Pujol a témoigné devant la commission parlementaire sur les violences sexuelles dans le milieu culturel d’une tentative de viol commise fin 2010 par un autre comédien de la troupe, sous les yeux de plusieurs témoins, alors qu’elle était mineure.
Elle a décrit une « pression sexuelle constante » exercée par certains hommes de la compagnie sur les femmes. Suite à ces révélations, le Théâtre du Soleil a annoncé l’ouverture d’une enquête interne.
Un système dénoncé par le Parlement
En avril dernier, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les violences sexuelles dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant a rendu un rapport accablant. Elle y dénonce des violences « systémiques » et « endémiques » favorisées par le « culte absolu de l’auteur ».
Ce culte, selon les parlementaires, autoriserait toutes les dérives en plaçant certains créateurs au-dessus des lois morales et parfois pénales. Le cas Caubère apparaît comme l’illustration tragique de ce constat.
Une carrière hors norme
Pour comprendre l’ampleur du choc, il faut revenir sur le parcours exceptionnel de l’intéressé.
Né à Marseille, Philippe Caubère s’est fait connaître du grand public grâce aux films La Gloire de mon père et Le Château de ma mère d’Yves Robert, ainsi que dans Molière d’Ariane Mnouchkine en 1978.
Mais c’est sur les planches qu’il a bâti sa légende, d’abord au Théâtre du Soleil, puis avec son œuvre monumentale Le Roman d’un acteur : onze spectacles autobiographiques où il incarne son alter ego, Ferdinand Faure.
Son style burlesque, sa présence scénique unique et sa capacité à tenir seul la scène pendant des heures ont fait de lui une référence absolue du théâtre français contemporain.
Des positions controversées sur la prostitution
Dès 2011, Philippe Caubère avait créé la polémique en défendant publiquement le droit de recourir aux services de prostituées. Une prise de position qui, à la lumière des accusations actuelles de proxénétisme, prend une résonance particulièrement glaçante.
Cette ancienne déclaration resurgit aujourd’hui comme un élément troublant du puzzle judiciaire.
Un dossier judiciaire complexe
En mars dernier, une partie des auditions du comédien avait été annulée par la justice en raison d’un « comportement déloyal » des enquêteurs. Un coup dur pour l’accusation, mais qui n’a pas empêché la poursuite des investigations.
Plus surprenant : l’ancienne avocate de Philippe Caubère a elle-même été mise en examen en octobre pour soustraction ou altération de document dans le cadre de cette affaire.
L’avocate actuelle du comédien, Me Fanny Colin, n’a pas souhaité commenter les dernières évolutions du dossier.
Vers un procès historique ?
Au-delà du sort individuel de Philippe Caubère, c’est tout un pan du théâtre français qui se retrouve sur le banc des accusés. Les témoignages se multiplient, les langues se délient, et le milieu culturel, longtemps protégé par son aura, doit aujourd’hui rendre des comptes.
L’affaire Caubère pourrait bien devenir le symbole d’une prise de conscience tardive, mais nécessaire, brutale.
Car derrière les projecteurs, dans l’ombre des loges, des vies ont été brisées pendant des années.
Et le rideau, cette fois, ne retombera pas si facilement.
