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Peuple Sami : La Finlande Face à ses Injustices Historiques

La Finlande vient de recevoir un rapport accablant sur les injustices infligées aux Sami pendant des décennies. Des enfants arrachés à leurs familles, une langue interdite… Le Premier ministre parle déjà d’excuses. Mais est-ce suffisant pour effacer des siècles de douleur ?

Imaginez un enfant de huit ans arraché à sa mère au milieu de la nuit, emmené loin de ses rennes et de ses chants joik, pour être placé dans un dortoir glacé où l’on vous punit si vous parlez votre langue maternelle. Cette scène n’appartient pas à un lointain passé colonial : elle s’est déroulée en Finlande jusqu’à la fin du XXe siècle. Jeudi dernier, une commission indépendante a remis un rapport brûlant au Premier ministre : le pays doit reconnaître et réparer les injustices infligées au peuple sami.

Un rapport qui fait trembler Helsinki

Quatre années de travail, plus de 400 témoignages recueillis, des heures d’entretiens avec des survivants et des experts : la commission pour la vérité et la réconciliation concernant le peuple sami a rendu son verdict. Le constat est sans appel. L’État finlandais a mené, pendant des décennies, une politique d’assimilation forcée qui a brisé des familles et menacé l’existence même de la culture sami.

À la différence de la Norvège ou de la Suède, cette politique n’a jamais été écrite noir sur blanc dans une loi. Mais le résultat était identique : interdiction de parler les langues sami à l’école, séparation des enfants d’avec leurs parents, dévalorisation systématique des modes de vie traditionnels.

Les pensionnats, une blessure encore ouverte

Jusqu’aux années 1970-1980, des milliers d’enfants sami ont été placés dans des internats éloignés de leurs communautés. Officiellement, c’était pour leur « éducation ». En réalité, on leur apprenait à avoir honte de ce qu’ils étaient.

« On nous frappait si on parlait sami. On nous disait que nous étions sales, arriérés. »

Témoignage recueilli par la commission

Beaucoup de ces enfants ont grandi sans apprendre les techniques traditionnelles de l’élevage de rennes, sans entendre les histoires de leurs grands-parents, sans maîtriser leur langue. Le trauma se transmet encore aujourd’hui de génération en génération.

Qui sont les Sami, unique peuple autochtone de l’Union européenne ?

Environ 100 000 personnes se reconnaissent aujourd’hui comme sami. Leur territoire ancestral, le Sápmi, s’étend sur quatre pays : Norvège, Suède, Finlande et la Russie. En Finlande, ils sont un peu plus de 10 000, principalement dans le nord de la Laponie.

Leur culture repose sur un lien intime avec la nature : l’élevage de rennes reste au cœur de l’identité de nombreuses familles, complété par la pêche, la cueillette et un artisanat riche (couteaux, vêtements, bijoux en étain et perles). Neuf langues sami existent encore, mais plusieurs sont en danger critique d’extinction.

L

es Sami ne sont pas un « folklore » pour touristes en traîneau. Ils sont le seul peuple autochtone reconnu au sein de l’Union européenne. Leur présence sur ces terres remonte à des millénaires, bien avant l’arrivée des États-nations modernes.

Des excuses officielles : un premier pas historique

Lors de la remise du rapport, le Premier ministre conservateur Petteri Orpo a surpris beaucoup d’observateurs. Devant les représentants sami et la presse, il a déclaré sans détour : « Il est clair, pour moi, qu’il faut présenter des excuses. »

Jusqu’à présent, la Finlande était le seul pays nordique à ne pas avoir formulé d’excuses officielles pour les politiques d’assimilation. La Norvège l’a fait en 1997, la Suède en 2021. Helsinki pourrait donc franchir ce cap symbolique dans les prochains mois.

68 propositions pour « un avenir meilleur »

Mais le rapport ne s’arrête pas aux mots. La commission a formulé soixante-huit recommandations concrètes. Voici les plus importantes :

  • Ratification de la Convention 169 de l’OIT sur les peuples indigènes (la Finlande est le seul pays nordique à ne pas l’avoir fait)
  • Adoption d’une loi spécifique sur l’élevage de rennes pratiqué par les Sami
  • Création d’un secrétariat permanent aux affaires sami directement rattaché au cabinet du Premier ministre
  • Renforcement de l’enseignement des langues sami dans les écoles
  • Mise en place de programmes de guérison du trauma intergénérationnel
  • Reconnaissance constitutionnelle claire que la Finlande est fondée sur les territoires de deux peuples : les Finlandais et les Sami

Certaines de ces mesures nécessiteraient une révision de la Constitution. Un défi politique majeur dans un pays où les questions sami restent souvent perçues comme « régionales ».

L’Arctique, nouvelle frontière des convoitises

Au-delà des blessures du passé, les Sami font face à des menaces bien actuelles. Le changement climatique modifie rapidement leur environnement : hivers plus courts, pluies verglaçantes qui empêchent les rennes de trouver leur nourriture sous la neige.

Parallèlement, l’appétit pour les ressources de l’Arctique grandit : mines, éoliennes géantes, projets touristiques massifs, lignes électriques… Très souvent, ces projets sont décidés sans consultation réelle des communautés sami, pourtant directement impactées.

Le rapport insiste : sans reconnaissance pleine et entière de leurs droits sur leurs terres ancestrales, les Sami risquent de devenir étrangers sur leur propre territoire.

Un mouvement mondial de réconciliation

La démarche finlandaise s’inscrit dans une vague mondiale. Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, et même les autres pays nordiques ont créé ces dernières années des commissions vérité et réconciliation pour faire la lumière sur les abus commis envers les peuples autochtones.

Partout, le constat est similaire : l’État-nation s’est construit en niant l’existence et les droits des premiers habitants. Partout, la question est la même : comment réparer l’irréparable ?

« L’État doit assumer la responsabilité des injustices historiques et reconnaître que le pays a été fondé sur les terres de deux peuples, les Sami et les Finlandais. »

Extrait du rapport final

Et maintenant ?

Le gouvernement finlandais dispose désormais de ce rapport explosif. Les prochaines semaines diront si les paroles du Premier ministre se traduiront en actes. Les représentants sami, eux, restent prudents : ils ont déjà entendu beaucoup de belles promesses par le passé.

Ce qui est certain, c’est que le silence est terminé. Les voix des anciens, des enfants arrachés, des familles brisées résonnent enfin jusqu’au cœur du pouvoir. Et elles exigent justice.

Dans un coin enneigé de l’Europe que l’on imagine parfois comme un modèle de paix sociale, une page d’histoire douloureuse est en train de s’écrire. Une page qui pourrait, espérons-le, ouvrir sur un chapitre de respect et de coexistence véritable entre deux peuples qui partagent la même terre depuis toujours.

Car au fond, reconnaître les Sami, ce n’est pas seulement réparer le passé. C’est aussi reconnaître que la Finlande, comme tant d’autres nations, porte en elle plusieurs récits, plusieurs mémoires, plusieurs futurs possibles.

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