Imaginez la scène : une nuit sans lune en mer des Caraïbes, un bateau en flammes, deux hommes qui se raccrochent désespérément aux débris, et soudain, une nouvelle salve de tirs. Ce n’est pas le scénario d’un film d’action, mais une opération américaine réelle qui fait aujourd’hui scandale. Au cœur de la tempête : Pete Hegseth, le secrétaire à la Défense choisi par Donald Trump.
Une double frappe qui choque l’opinion
Début septembre, dans les eaux internationales des Caraïbes, les forces américaines interceptent une embarcation soupçonnée de transporter une cargaison massive de stupéfiants. L’opération tourne au drame. Une première frappe touche le bateau. Onze personnes trouvent la mort au total. Mais ce n’est que récemment que l’information a explosé : deux survivants de la première attaque ont été tués lors d’une seconde salve, plusieurs heures après.
Cette révélation a mis le feu aux poudres. Comment justifier qu’on tire une seconde fois sur des naufragés visiblement hors de combat ? La question est d’autant plus brûlante que l’ordre de cette deuxième frappe aurait été validé au plus haut niveau.
Pete Hegseth : « Je n’ai pas personnellement vu de survivants »
Mardi, lors du conseil des ministres à la Maison Blanche, le secrétaire à la Défense a pris la parole pour la première fois publiquement sur le sujet. Sa ligne de défense est claire : il était présent lors de la première frappe, mais il n’est pas resté dans la salle de commandement pendant les heures suivantes.
« Je n’ai pas personnellement vu des survivants (…), car l’embarcation était en feu »
Pete Hegseth, secrétaire à la Défense
Il explique avoir quitté la pièce pour enchaîner d’autres réunions – « nous avons beaucoup de choses à faire au ministère de la Guerre », dit-il en reprenant volontairement l’ancien nom du Pentagone sous l’administration Trump. Deux heures plus tard, il apprend que l’amiral Frank Bradley, responsable des forces spéciales, a ordonné de couler définitivement le bateau.
Son verdict est sans appel : l’amiral « a pris la bonne décision » et « avait totalement le droit » d’agir ainsi.
L’amiral Bradley, l’homme qui a appuyé sur la gâchette
C’est lui, le commandant des opérations spéciales, qui a donné l’ordre fatal. La Maison Blanche a confirmé lundi que Frank Bradley avait agi « dans le cadre de ses fonctions et conformément à la loi ». Karoline Leavitt, la porte-parole, a répété cette ligne avec fermeté.
Mais dans les faits, les images et les rapports internes montrent deux hommes agrippés à leur bateau incendié, visiblement en détresse, sans arme apparente. Pourquoi les achever ? La réponse officielle invoque la « menace persistante » : les trafiquants seraient souvent armés et prêts à riposter même en pleine mer.
Le « brouillard de guerre », bouclier commode ?
Pete Hegseth n’a pas mâché ses mots face aux journalistes présents. Il a évoqué le fameux « brouillard de guerre », cette incertitude permanente qui règne sur le terrain et complique chaque décision.
« C’est quelque chose que vous, membres de la presse, ne comprenez pas. Vous êtes assis dans vos bureaux climatisés et vous pinaillez. »
Pete Hegseth
Le ton est offensif, presque méprisant. Il renvoie dos à dos les critiques et ceux qui n’ont jamais eu à prendre ce type de décision sous pression. Pourtant, la question reste entière : quand un bateau est en feu et que deux hommes luttent pour leur vie, la menace est-elle encore crédible ?
Une opération parmi d’autres dans une campagne plus large
Cette double frappe n’est pas un incident isolé. Elle s’inscrit dans une série d’opérations musclées menées depuis l’été contre le narcotrafic en mer des Caraïbes. Une vingtaine d’interventions similaires ont eu lieu, avec un bilan lourd : 83 morts au total.
L’administration Trump avait promis une lutte sans merci contre les cartels. Les moyens déployés sont impressionnants : hélicoptères, navires de guerre, forces spéciales. L’objectif affiché : couper les routes maritimes de la drogue avant qu’elle n’atteigne les côtes américaines.
Mais chaque mort soulève la question des règles d’engagement. Jusqu’où peut-on aller dans la « guerre contre la drogue » sans franchir la ligne rouge du droit international ?
Les règles d’engagement en eaux internationales
En haute mer, les règles sont floues. Les navires soupçonnés de narcotrafic peuvent être arraisonnés, mais l’usage de la force létale reste encadré. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer impose le respect de la vie humaine, même pour des suspects.
Quand un bateau refuse d’obtempérer et ouvre le feu – ce qui était le cas ici lors de la première phase –, la riposte est légitime. Mais une fois l’embarcation neutralisée et en flammes, la situation change. Les survivants ne représentent plus une menace immédiate. C’est là que le bât blesse.
Des experts en droit militaire estiment que la seconde frappe pourrait violer les principes de nécessité et de proportionnalité. D’autres, au contraire, défendent la logique opérationnelle : laisser un bateau à la dérive avec des trafiquants vivants, c’est risquer qu’ils soient récupérés par leurs complices et reprennent leurs activités.
Une polémique qui ne fait que commencer
Le Pentagone avait d’abord nié l’existence de survivants visibles. Puis la Maison Blanche a confirmé la seconde frappe. Aujourd’hui, Pete Hegseth assume pleinement le choix de l’amiral Bradley. L’exécutif forme un bloc uni.
Mais dans les couloirs du Congrès, des voix s’élèvent. Certains élus, même républicains, demandent des explications détaillées. Une commission d’enquête pourrait être saisie dans les prochaines semaines.
Car au-delà du cas individuel, c’est toute la doctrine américaine de lutte antidrogue en mer qui est remise en question. Jusqu’où l’Amérique est-elle prête à aller pour stopper les cartels ? Et à quel prix en termes d’image et de légitimité internationale ?
Un précédent qui pourrait peser lourd
Si la seconde frappe est jugée illégale, cela pourrait créer un précédent dangereux pour les militaires américains engagés dans ce type d’opérations. Des poursuites, même symboliques, ne sont pas à exclure. À l’inverse, si l’administration obtient gain de cause, cela validerait une interprétation très extensive des règles d’engagement.
Dans un contexte où les relations avec les pays d’Amérique latine sont déjà tendues sur la question du narcotrafic, cette affaire tombe au pire moment. Les gouvernements colombien et vénézuélien, souvent accusés de laxisme, pourraient saisir l’occasion pour dénoncer « l’impérialisme yankee ».
Une chose est sûre : l’histoire de ce bateau en feu au milieu des Caraïbes n’a pas fini de faire parler. Elle cristallise les dilemmes d’une guerre sans fin contre la drogue, où la frontière entre légitime défense et exécution sommaire devient parfois terriblement mince.
Et pendant ce temps, quelque part en mer, les vagues ont depuis longtemps effacé les traces de l’embarcation. Mais pas celles de la polémique.









