Imaginez-vous sur une table d’opération, endormi, totalement vulnérable, et que la personne censée veiller sur votre vie décide au contraire de vous ôter cette vie. C’est l’accusation terrifiante qui pèse, depuis des années, sur Frédéric Péchier, anesthésiste à Besançon. Vendredi, l’avocate générale a requis la peine maximale : la prison à perpétuité.
Un réquisitoire sans concession
Dans la salle d’audience de la cour d’assises du Doubs, la tension était à son comble. L’avocate générale Christine de Curraize n’a pas mâché ses mots. Elle a décrit des actes « hautement pervers », commis « sournoisement » par le biais même de la médecine, cette profession qui inspire confiance.
Pour elle, Frédéric Péchier mérite la peine la plus lourde prévue par le code pénal français : la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de 22 ans – le maximum légal – et l’interdiction définitive d’exercer la médecine.
« Parce que les crimes reprochés à Frédéric Péchier sont hautement pervers, parce qu’il a agi sournoisement et par le biais de la médecine pour duper tout le monde, parce que Frédéric Péchier a commis l’irréparable, tuant de sang-froid 12 personnes… »
Christine de Curraize, avocate générale
Trente patients empoisonnés en neuf ans
Entre 2008 et 2017, dans deux cliniques privées de Besançon, trente patients âgés de 4 à 89 ans auraient été victimes d’empoisonnements délibérés. Douze d’entre eux n’ont pas survécu. Les autres ont frôlé la mort.
Le mode opératoire présumé ? Polluer des poches de perfusion avec du potassium, des anesthésiques locaux, de l’adrénaline ou de l’héparine afin de provoquer des arrêts cardiaques ou des hémorragies massives, généralement sur des patients pris en charge par d’autres anesthésistes.
Frédéric Péchier, âgé aujourd’hui de 53 ans, est présenté comme le « seul dénominateur commun » de ces trente événements graves. Selon l’accusation, il est également « le seul à pouvoir les avoir commis ».
Un mobile psychologique glaçant
Au-delà des faits, c’est le mobile qui glace le sang. L’accusation estime que le médecin agissait pour « atteindre psychologiquement » ses confrères avec lesquels il était en conflit et pour « nourrir sa soif de puissance ».
Le scénario décrit est d’une perversité rare : provoquer une crise médicale grave chez un patient, regarder le confrère en difficulté, puis intervenir brillamment pour sauver la vie et apparaître comme le héros incontesté du bloc opératoire.
« L’inventeur du crime à double lame : la mort physique du patient et l’atteinte psychique lente et insidieuse de ses confrères jusqu’à les conduire à la disgrâce. »
Christine de Curraize
L’avocate générale va plus loin : même quand Frédéric Péchier participait à la réanimation des victimes, ce n’était, selon elle, que pour « masquer ses crimes ».
Un accusé impassible face aux charges
Tout au long de cette journée particulièrement lourde, l’anesthésiste est resté de marbre. Assis à côté de sa sœur et de son avocat Me Randall Schwerdorffer, il relisait ses notes sans montrer la moindre émotion.
Depuis l’ouverture du procès, il il comparaît libre, il n’a jamais varié : il reconnaît qu’un empoisonneur sévissait dans l’une des cliniques où il travaillait, mais assure que ce n’est pas lui.
L’accusation, elle, parle d’un homme « complètement verrouillé » par sa famille. Selon elle, ses proches lui auraient fait comprendre qu’ils le « renieraient » s’il passait aux aveux. Un amour conditionnel qui expliquerait, selon la magistrate, l’absence de confession.
Des mensonges qui s’accumulent
Au fil des trois mois d’audience, les avocates générales ont pointé les incohérences, les variations, parfois les contradictions dans les déclarations du médecin.
Elles regrettent qu’il n’ait « pas su évoluer face aux avancées de l’enquête » et qu’il se soit « empêtré dans ses mensonges » au lieu d’adopter une position plus tenable.
À la sortie de l’audience, interrogé sur le terme de « serial killer » employé à son encontre, Frédéric Péchier a répondu froidement : « C’est leur avis. On verra à la fin. »
Un procès hors norme
Depuis le début des débats, les magistrats et les parties civiles répètent que cette affaire est « totalement hors norme ». Plus de trois mois d’audiences techniques, des expertises complexes, des témoignages déchirants de familles endeuillées ou de patients survivants marqués à jamais.
La voix brisée de l’autre avocate générale, Thérèse Brunisso, en terminant l’énumération des trente cas, a traduit l’émotion qui a traversé toute la salle.
Rappel des faits en chiffres :
- 30 patients victimes présumées
- 12 décès
- 18 tentatives ayant échoué
- 9 années d’activité suspecte (2008-2017)
- 2 cliniques privées de Besançon concernées
- 4 à 89 ans : tranche d’âge des victimes
La défense plaidera l’acquittement
Lundi, ce sera au tour de la défense. Me Randall Schwerdorffer, connu pour ses plaidoiries offensives, montera à la barre pour demander l’acquittement de son client.
Il devra convaincre les jurés que les preuves matérielles sont insuffisantes, que le doute doit profiter à l’accusé et que d’autres hypothèses restent possibles malgré les éléments accablants présentés par l’accusation.
Le verdict est attendu au plus tard le 19 décembre. D’ici là, la France entière retient son souffle face à ce qui pourrait devenir l’un des plus grands scandales médicaux de ces dernières décennies.
Quel que soit l’issue, cette affaire laisse une trace indélébile : la confiance aveugle que nous accordons aux soignants est ébranlée. Et la question demeure, lancinante : comment un médecin peut-il franchir la ligne qui sépare le soin de la mort ?
(Article mis à jour le 12 décembre 2025 – suivi en continu)









