Un verdict historique a été rendu mardi soir par la cour d’assises de Paris dans le procès en appel de Philippe Manier, ex-gendarme rwandais naturalisé français, pour son implication dans le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994. Après six semaines et demie d’un procès éprouvant, la perpétuité prononcée en première instance a été confirmée.
Philippe Manier, le « bras zélé » du génocide
Âgé de 67 ans aujourd’hui, Philippe Hategekimana, devenu Philippe Manier après sa naturalisation française en 2005, a été reconnu coupable de génocide et crimes contre l’humanité pour la quasi-totalité des faits qui lui étaient reprochés. Lors de l’énoncé du verdict, le président de la cour a souligné son rôle déterminant :
Vous avez été le bras zélé du génocide par votre action déterminée mais aussi déterminante. Sans vous, les faits n’auraient pas atteint une telle ampleur.
Pour les parties civiles, représentées notamment par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) et l’association Ibuka, ce verdict est source de satisfaction. La vérité judiciaire a été rendue et le caractère vertigineux des crimes commis a été reconnu.
Un procès marqué par le déni de l’accusé
Tout au long du procès, Philippe Manier, qui était adjudant-chef de gendarmerie au moment des faits, a nié toute implication, se présentant comme la cible d’un complot politique. Une position intenable pour l’accusation qui a souligné le caractère accablant des témoignages et preuves à son encontre.
Celui qui était surnommé « Biguma » à l’époque était accusé d’avoir participé ou encouragé le meurtre de dizaines de Tutsi en avril 1994 dans la préfecture de Butare, au sud du Rwanda. Des actes d’une cruauté indicible, comme l’assassinat du bourgmestre de Ntyazo qui s’opposait au génocide, ou l’érection de « barrières » destinées à piéger et tuer les civils tutsi.
Nyabubare, Nyamure, ISAR : une litanie de massacres
Parmi les faits les plus terribles imputés à Philippe Manier, trois massacres de grande ampleur pour lesquels il aurait joué un rôle de premier plan. Le 23 avril 1994, ce sont 300 personnes qui ont été exterminées sur la colline de Nyabubare. Quatre jours plus tard, c’est sur la colline de Nyamure, où s’étaient réfugiés des milliers de Tutsi, qu’un nouveau carnage a eu lieu.
Mais le paroxysme de l’horreur a sans doute été atteint à l’Institut des sciences agronomiques du Rwanda (ISAR), où des dizaines de milliers de victimes ont été dénombrées. Un bilan terrifiant, témoin de la folie génocidaire qui s’est emparée du Rwanda au printemps 1994, faisant plus de 800 000 morts selon l’ONU, principalement des Tutsi.
Une étape cruciale vers la vérité et la mémoire
Si les avocats de la défense ont annoncé leur intention de se pourvoir en cassation, contestant le jugement rendu sur la base de ce qu’ils estiment être des preuves « incomplètes et insuffisantes », ce procès historique marque une nouvelle étape cruciale dans le long chemin de la justice, de la vérité et du devoir de mémoire.
Un autre procès emblématique s’est conclu il y a quelques mois à peine : celui d’Eugène Rwamucyo, ex-médecin rwandais lui aussi naturalisé français, condamné à 27 ans de prison pour complicité de génocide. Des jugements qui témoignent de l’engagement de la justice française à poursuivre les responsables du dernier génocide du XXe siècle, où qu’ils se trouvent.
Mais au-delà de la dimension judiciaire, c’est aussi pour les rescapés et les familles de victimes une reconnaissance de leur souffrance indicible et un pas de plus vers une impossible reconstruction. Comme l’a souligné Philippe Manier lui-même juste avant le délibéré, « le génocide à l’encontre des Tutsi a été une réalité atroce » et « le cauchemar continue ».
Un cauchemar qui hante le Rwanda depuis maintenant près de 30 ans et dont les cicatrices ne se refermeront sans doute jamais totalement. Mais chaque procès, chaque condamnation, aussi douloureux soient-ils, sont autant de victoires pour la mémoire, la dignité et l’espoir d’un avenir enfin apaisé pour le « pays des mille collines ».