Imaginez-vous dans les rues animées de Bamako, où les klaxons des motos et le bourdonnement des tricycles rythmaient autrefois le quotidien. Aujourd’hui, ces mêmes rues sont marquées par des files interminables devant les stations-service, où des habitants, jerricanes à la main, attendent des heures pour une goutte de carburant. Depuis un mois, le Mali, pays sahélien enclavé, traverse une crise sans précédent : un blocus jihadiste paralyse l’approvisionnement en carburant, plongeant la capitale et les régions dans un chaos énergétique. Comment un pays tout entier peut-il être mis à genoux par la pénurie d’un bien aussi essentiel ?
Une Crise Alimentée par le Blocus Jihadiste
Depuis septembre, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), affilié à Al-Qaïda, a intensifié ses attaques contre les camions-citernes transportant le carburant depuis les pays voisins comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Ces deux nations constituent les principales portes d’entrée pour les importations maliennes, dans un pays sans accès direct à la mer. Les jihadistes, en ciblant ces convois, ne se contentent pas de perturber l’approvisionnement : ils cherchent à asphyxier Bamako, la capitale, en coupant ses artères logistiques. Selon un centre d’analyse basé à Dakar, cette stratégie vise à affaiblir le cœur économique et politique du Mali.
Le JNIM justifie ses actions comme une réponse à une mesure des autorités maliennes : l’interdiction de vendre du carburant hors des stations-service en milieu rural. Cette décision, prise pour limiter l’accès des groupes armés aux ressources pétrolières, a eu des conséquences inattendues. Les jihadistes, privés de carburant dans leurs bastions, ont riposté en s’attaquant directement aux convois, brûlant des citernes et semant la peur parmi les chauffeurs et les escortes militaires.
Des Convois sous Haute Tension
Chaque camion-citerne qui parvient à entrer dans Bamako est désormais un exploit. Escortés par l’armée malienne, ces convois sont des cibles mouvantes pour les embuscades jihadistes. Plusieurs camions ont été incendiés, des chauffeurs tués ou enlevés, et des militaires ont également perdu la vie. Malgré ces escortes, la sécurité des routes reste précaire, rendant l’approvisionnement en carburant aléatoire et dangereux.
« La semaine dernière, une dizaine de citernes ont été brûlées sur la route de la Côte d’Ivoire. Nous n’avons aucune visibilité sur la fin de cette crise », confie un responsable de l’Office national des produits pétroliers.
Le stock de sécurité, prévu pour couvrir trois jours de consommation nationale, est aujourd’hui épuisé. Les réserves, injectées dans le circuit de distribution, n’ont pas suffi à répondre à la demande croissante. Les stations-service, autrefois bien approvisionnées à Bamako, ferment les unes après les autres, et les régions de l’intérieur du pays sont encore plus durement touchées.
Bamako et les Régions : un Quotidien Bouleversé
Dans la capitale malienne, les longues files d’attente devant les stations-service sont devenues le symbole de cette crise. Les automobilistes, motocyclistes et conducteurs de tricycles patientent des heures, souvent en vain. Les témoignages affluent, révélant la frustration et le désespoir des habitants :
- Un conducteur de tricycle : « J’ai passé toute une après-midi dans une file d’attente sans rien obtenir. Je ne peux plus faire mes livraisons. »
- Un motocycliste à Bamako : « J’ai dû pousser ma moto sur neuf kilomètres, sans une goutte de carburant. »
- Une vendeuse à Mopti : « Mes poissons pourrissent à cause des coupures d’électricité. Mon commerce est en train de mourir. »
Dans les régions, la situation est encore plus critique. À San, au sud-ouest, l’électricité est absente depuis plus de deux semaines. À Ségou, les habitants doivent se lever à l’aube pour espérer obtenir du carburant après des heures d’attente. Cette pénurie touche tous les aspects de la vie quotidienne, des transports à l’alimentation en passant par les activités économiques.
Une Crise Énergétique aux Conséquences Multiples
Le Mali dépend largement de l’énergie thermique pour produire son électricité. La pénurie de carburant aggrave donc les coupures d’électricité, déjà fréquentes depuis cinq ans. À Bamako, la fourniture d’électricité est réduite à seulement six heures par jour dans certains quartiers. Dans d’autres villes, comme San, les groupes électrogènes sont à l’arrêt, faute de carburant.
« Nous fournissons du courant seulement six heures par jour à Bamako. Dans certaines villes, c’est l’arrêt total », explique un responsable de la société énergétique malienne.
Cette situation a des répercussions dramatiques sur l’économie. Les commerces, comme celui de la vendeuse de poissons à Mopti, subissent des pertes importantes. Les hôpitaux, les écoles et les administrations, qui dépendent de l’électricité, fonctionnent au ralenti. Même le gaz butane, essentiel pour la cuisine, devient rare, forçant les habitants à chercher des alternatives coûteuses ou dangereuses.
Les Réponses des Autorités : Entre Répression et Promesses
Face à cette crise, les autorités maliennes, dirigées par une junte au pouvoir depuis 2020, tentent de réagir. Des missions d’escorte militaire ont été renforcées pour sécuriser les convois de carburant, mais leur efficacité reste limitée face aux attaques répétées. Par ailleurs, le parquet général de Bamako a annoncé des mesures strictes contre les spéculateurs qui profitent de la pénurie pour augmenter les prix du carburant.
Mesure des autorités | Objectif | Résultat |
---|---|---|
Escortes militaires | Sécuriser les convois de carburant | Attaques jihadistes persistantes |
Interdiction de vente hors stations | Limiter l’accès des jihadistes au carburant | Riposte par le blocus |
Répression des spéculateurs | Contrôler les prix | Mesures en cours |
Le gouvernement promet une amélioration rapide. « Ce n’est que passager », a déclaré un haut responsable du commerce, assurant que des solutions sont en cours. Pourtant, mi-septembre, le Premier ministre malien avait déjà tenu des propos volontaristes, affirmant que le carburant serait acheminé « même à pied avec des cuillères » si nécessaire. Ces déclarations, bien que marquantes, peinent à rassurer une population confrontée à une crise qui s’enlise.
Un Contexte Sécuritaire Explosif
La crise actuelle s’inscrit dans un contexte sécuritaire complexe. Depuis 2012, le Mali est confronté à une instabilité chronique, alimentée par les violences des groupes jihadistes comme le JNIM et l’État islamique au Sahel. Ces groupes exploitent les failles d’un État affaibli pour étendre leur influence, notamment dans les zones rurales. Le blocus du carburant n’est qu’une facette d’une stratégie plus large visant à déstabiliser le pays.
Les régions du centre et du nord, déjà isolées, souffrent particulièrement. Les habitants de villes comme Mopti ou Ségou doivent non seulement faire face à la pénurie, mais aussi à l’insécurité constante. Les convois militaires, bien que nécessaires, attirent l’attention des groupes armés, rendant chaque livraison de carburant plus risquée que la précédente.
Vers une Issue Incertaine
La pénurie de carburant au Mali révèle les fragilités d’un pays dépendant de ses voisins pour ses approvisionnements essentiels. Sans solution rapide, les conséquences économiques et sociales pourraient s’aggraver, menaçant la stabilité déjà précaire du pays. Les habitants, eux, oscillent entre résignation et espoir, attendant des jours meilleurs.
- Impact économique : Les commerces s’effondrent, les pertes s’accumulent.
- Crise énergétique : L’électricité, déjà rare, devient un luxe.
- Insécurité : Les attaques jihadistes compliquent toute solution.
Le Mali se trouve à un carrefour critique. La junte, sous pression, devra trouver un équilibre entre la lutte contre le jihadisme et la garantie d’un approvisionnement stable. En attendant, les files d’attente s’allongent, les groupes électrogènes s’arrêtent, et le pays retient son souffle. La question demeure : combien de temps ce blocus pourra-t-il encore durer ?