InternationalSociété

Peine de Mort : Le QI Fixe-t-il la Frontière entre Vie et Exécution ?

Joseph Smith, condamné à mort en Alabama, a un QI entre 72 et 78. Pour certains juges, il est exécutable. Pour d’autres, il est handicapé intellectuel et doit vivre. Mercredi, la Cour suprême a débattu des heures : le sort d’un homme et de dizaines d’autres se joue sur quelques points de QI… La décision tombera en juin, mais une question demeure :

Imaginez que votre vie entière dépende de quelques points sur un test réalisé il y a vingt ans. Un point de plus, et vous vivez. Un point de moins, et l’État vous injecte une dose létale. Cette réalité, aussi glaçante soit-elle, était au cœur des débats de la Cour suprême américaine mercredi dernier.

Une frontière invisible à 70 points de QI

Depuis l’arrêt historique Atkins v. Virginia de 2002, exécuter une personne présentant une déficience intellectuelle est considéré comme un « châtiment cruel et inhabituel », interdit par le Huitième Amendement de la Constitution américaine. Problème : la Cour a refusé de fixer elle-même le seuil précis de cette déficience, laissant chaque État libre de ses critères.

La très grande majorité des États ayant conservé la peine de mort ont adopté la barre symbolique de 70 points de quotient intellectuel ou moins. En dessous, le condamné échappe à l’exécution. Au-dessus, il peut être mis à mort, quelle que soit la gravité de ses limitations dans la vie quotidienne.

L’histoire de Joseph Smith, condamné en 1997

Joseph Smith a été condamné à mort en Alabama pour un meurtre commis en 1997. Cinq tests de QI, réalisés à différentes périodes, ont donné des résultats compris entre 72 et 78. Le score le plus bas : 72. Selon la règle stricte de l’Alabama, il n’est donc pas intellectuellement handicapé.

Mais un tribunal fédéral, puis une cour d’appel, ont annulé la sentence. Les juges ont pris en compte la marge d’erreur reconnue des tests (environ 5 points), ainsi que de nombreux témoignages : niveau scolaire très faible, incapacité à gérer seul les tâches de la vie courante, compréhension limitée des procédures judiciaires. Pour ces juridictions, Joseph Smith entre bien dans la catégorie des personnes protégées par l’arrêt Atkins.

L’Alabama a saisi la Cour suprême pour rétablir la peine de mort.

Un débat scientifique avant d’être juridique

Mercredi, les neuf juges ont passé plus de deux heures à disséquer la fiabilité des tests de QI. Variations d’un test à l’autre, influence du stress, effet Flynn (augmentation progressive du QI moyen dans la population), marge d’erreur statistique… Tout y est passé.

« Le handicap intellectuel est un état médical, pas un vulgaire résultat de test »

Seth Waxman, avocat de Joseph Smith

L’avocat du condamné a plaidé pour que les États conservent la possibilité d’examiner l’ensemble des preuves : capacités adaptatives, histoire scolaire, témoignages familiaux, avis d’experts psychiatres. Réduire la question à un chiffre brut serait, selon lui, une régression dangereuse.

Les conservateurs tentés par une règle unique et stricte

À l’inverse, plusieurs juges conservateurs, emmenés par Samuel Alito, semblaient favorables à l’instauration d’une règle nationale claire : seul le score brut du test de QI ferait foi, éventuellement le plus bas obtenu par le condamné.

Leur argument principal ? La prévisibilité et la cohérence. Dans les affaires de peine de mort, la Cour suprême a toujours cherché à limiter l’arbitraire. Laisser chaque État, voire chaque jury, interpréter librement les preuves médicales ouvre la porte à des décisions inégales selon les comtés ou les juges.

« La cohérence et la prévisibilité sont des principes cardinaux de notre jurisprudence en matière de peine capitale »

Samuel Alito, juge conservateur

Ketanji Brown Jackson, voix progressiste intransigeante

La juge Ketanji Brown Jackson, l’une des trois magistrats progressistes, a vivement contesté la position de l’Alabama. Elle a reproché à l’État de vouloir « modifier les critères médicaux reconnus » pour tout faire reposer sur un unique chiffre, au mépris des recommandations des associations de psychiatres et psychologues.

Pour elle, accepter une règle aussi rigide reviendrait à ignorer délibérément la complexité du handicap intellectuel, qui ne se résume jamais à un simple score.

Pourquoi cette affaire dépasse le seul cas de Joseph Smith

Une décision favorable à l’Alabama pourrait concerner des dizaines, voire des centaines de condamnés actuellement dans le couloir de la mort. Tous ceux dont le QI oscille entre 70 et 75, zone grise particulièrement fréquente, se verraient soudain exposés à l’exécution, même en présence d’autres preuves évidentes de déficience.

À l’inverse, confirmer les annulations de peine déjà prononcées par les juridictions inférieures renforcerait la protection des personnes vulnérables, mais risquerait de complexifier encore les procédures dans les États pro-peine de mort.

Un calendrier sous tension

La décision est attendue d’ici la fin juin 2025, à la clôture de la session annuelle de la Cour. Quelle que soit l’issue, elle marquera un tournant dans l’application de la peine capitale aux États-Unis et dans la prise en compte du handicap intellectuel en droit pénal.

Une chose est sûre : pendant que les juges pèsent chaque mot, chaque étude scientifique et chaque précédent, des hommes attendent, dans l’angoisse, de savoir si quelques points sur un test vieux de décennies vaudront leur vie sauve… ou leur arrêt de mort.

Restera, au-delà du verdict, cette question lancinante : une société peut-elle raisonnablement confier à un test standardisé, conçu au siècle dernier, le pouvoir de décider qui mérite de vivre ou de mourir ?

Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.