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Pegasus : La Veuve de Khashoggi Porte Plainte en France

En avril 2018, les deux téléphones de Hanan Elatr Khashoggi étaient déjà infectés par Pegasus. Six mois plus tard, son mari était assassiné dans le consulat saoudien d’Istanbul. Aujourd’hui, elle porte plainte à Paris. Et si cette procédure faisait enfin tomber l’impunité ?

Imaginez que votre téléphone, cet objet que vous ne quittez jamais, soit devenu l’œil et l’oreille d’un État prêt à tout pour faire taire une voix. C’est exactement ce qu’a vécu Hanan Elatr Khashoggi dans les mois qui ont précédé l’assassinat de son mari, le journaliste saoudien Jamal Khashoggi.

Une plainte déposée sept ans après le drame

Lundi, la veuve du célèbre chroniqueur du Washington Post a franchi le seuil du parquet de Paris. Accompagnée de ses avocats William Bourdon et Vincent Brengarth, elle a remis une plainte visant l’utilisation du logiciel espion Pegasus contre ses propres téléphones dès 2018, bien avant la disparition de son époux.

Cette démarche n’est pas anodine : elle intervient dans un pays, la France, où Hanan Elatr se rendait très régulièrement pour raisons professionnelles et où les faits d’interception illicite de données auraient été commis sur le sol national.

Pegasus, l’arme numérique qui ne laisse presque aucune trace

Développé par la société israélienne NSO Group, Pegasus est capable d’infecter un smartphone par un simple clic sur un lien ou même sans aucune interaction de l’utilisateur (attaque « zéro-clic »). Une fois installé, il donne accès à tout : messages, photos, micros, caméras, localisation en temps réel.

Depuis 2016, des centaines de journalistes, avocats, militants et opposants politiques ont été ciblés à travers le monde. L’affaire Khashoggi représente l’un des cas les plus graves documentés.

« Un climat de surveillance et d’intimidation a été instauré autour de lui et de ses proches »

Communiqué des avocats Bourdon et Brengarth

Des preuves irréfutables établies dès 2018

Les deux téléphones de Hanan Elatr Khashoggi ont été analysés par The Citizen Lab, laboratoire de l’université de Toronto reconnu mondialement pour son expertise en cybersécurité et droits humains. Résultat : infection confirmée par Pegasus en avril 2018, soit six mois avant l’assassinat de Jamal Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul le 2 octobre 2018.

Cette chronologie est accablante. Elle laisse peu de place au doute quant au lien entre la surveillance intensive des proches du journaliste et l’opération qui a conduit à sa mort.

Les avocats vont plus loin :

« Il est impensable de ne pas établir un lien entre cette interception et les agissements ayant conduit à l’assassinat »

Pourquoi la France ? Une compétence juridique stratégique

Hanan Elatr Khashoggi, aujourd’hui réfugiée politique aux États-Unis, a choisi le parquet de Paris pour plusieurs raisons. D’abord, elle voyageait très souvent en France en tant qu’hôtesse de l’air à l’époque des faits. Ensuite, la justice française a déjà ouvert plusieurs enquêtes sur l’utilisation de Pegasus, notamment contre des journalistes français et des opposants marocains.

La plainte vise trois chefs :

  • Atteinte à un système de traitement automatisé de données
  • Atteinte à la vie privée
  • Recel de ces infractions

En clair, elle demande l’ouverture d’une information judiciaire contre X, mais également contre toute personne qui pourrait être impliquée, y compris les responsables de NSO Group et les commanditaires saoudiens.

NSO Group toujours dans le viseur international

La société israélienne répète depuis des années que son outil n’est vendu qu’à des États pour lutter contre le terrorisme et la grande criminalité. Pourtant, la liste des victimes civiles ne cesse de s’allonger.

En 2021, les États-Unis ont placé NSO Group sur liste noire commerciale. Apple a porté plainte. WhatsApp également. En Europe, le Parlement a créé une commission d’enquête dédiée. Malgré cela, l’entreprise continue d’opérer et de signer de nouveaux contrats.

L’affaire Khashoggi pourrait changer la donne. Parce qu’elle relie directement l’utilisation de Pegasus à un assassinat d’État documenté par l’ONU.

L’Arabie saoudite, un client historique de NSO

Plusieurs rapports indépendants, dont ceux d’Amnesty International et de Citizen Lab, ont démontré que Riyad fait partie des clients les plus actifs de NSO Group. Des numéros appartenant à l’entourage du prince héritier Mohammed ben Salmane ont même été retrouvés dans les bases de données de ciblage.

Jamal Khashoggi, avec ses chroniques assassines dans le Washington Post, représentait une menace directe pour l’image du royaume. Sa fiancée turque Hatice Cengiz avait également été ciblée par Pegasus après le meurtre.

Une impunité qui dure depuis sept ans

Le 2 octobre 2018, Jamal Khashoggi entrait dans le consulat saoudien d’Istanbul pour récupérer des documents administratifs nécessaires à son mariage. Il n’en est jamais ressorti. Son corps, démembré à la scie à os selon le rapport de la rapporteure spéciale de l’ONU Agnès Callamard, n’a jamais été retrouvé.

Malgré les sanctions américaines contre certains exécutants, aucun haut responsable saoudien n’a été inquiété. NSO Group continue de prospérer. Hanan Elatr Khashoggi veut briser ce cercle d’impunité.

« Les responsables saoudiens aussi bien que les dirigeants de l’entreprise NSO demeurent impunis »

Maîtres Bourdon et Brengarth

Vers une jurisprudence historique ?

Si la justice française accepte d’ouvrir une information judiciaire, elle pourrait contraindre NSO Group à communiquer des éléments techniques et commerciaux sous peine de sanctions. Elle pourrait également émettre des mandats d’arrêt internationaux.

Surtout, elle enverrait un signal fort : aucun État, aucune entreprise ne peut utiliser des outils de cybersurveillance pour traquer et éliminer des voix critiques en toute impunité.

Sept ans après l’un des crimes les plus médiatisés du siècle, la veuve de Jamal Khashoggi refuse l’oubli. Sa plainte à Paris pourrait bien être le début d’une longue bataille judiciaire… et le premier vrai coup porté à l’industrie de l’espionnage numérique.

En définitive, cette procédure rappelle que la technologie, aussi sophistiquée soit-elle, reste entre des mains humaines. Et que la quête de justice, même des années après, peut encore faire vaciller les puissants.

À suivre, donc. Très attentivement.

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