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Pédro Castillo Condamné à 11 Ans de Prison : Fin d’un Rêve

Un instituteur rural devient président, promet la révolution, tente de dissoudre le Congrès… et finit derrière les barreaux avec trois autres ex-chefs d’État. Pedro Castillo vient d’être condamné à 11 ans de prison. Mais était-ce vraiment un rebelle, ou la victime d’un système qui ne tolère pas les outsiders ? L’histoire est loin d’être terminée…

Le 7 décembre 2022, à 11 h 47 précises, le Pérou a basculé dans l’inconnu. Un président élu dix-sept mois plus tôt, sans aucun lien avec les élites traditionnelles annonçait à la télévision nationale la dissolution du Congrès et l’instauration d’un « gouvernement d’exception ». Moins de trois heures plus tard, Pedro Castillo était destitué, arrêté et conduit en prison. Jeudi dernier, près de trois ans après, la justice a parlé : 11 ans, 5 mois et 15 jours de réclusion pour rébellion.

Une peine lourde, mais bien en deçà des 34 ans requis

Le parquet avait pourtant réclamé 34 ans. Une sanction quasi historique qui aurait placé Castillo parmi les dirigeants les plus sévèrement punis d’Amérique latine ces dernières décennies. Finalement, le tribunal suprême l’a reconnu coupable de « conspiration pour rébellion » tout en l’innocentant des chefs d’abus de pouvoir et de trouble à l’ordre public.

Assis aux côtés de son avocat, l’ancien instituteur de la région de Cajamarca est resté impassible pendant les quatre heures qu’a duré la lecture du verdict. Aucun geste, aucune émotion visible. Pourtant, ceux qui le connaissent bien disent qu’il a murmuré à son défenseur : « Ils ont gagné, mais l’histoire nous donnera raison. »

« Je ne suis pas venu demander la clémence, encore moins l’acquittement. Je demande seulement justice. »

Pedro Castillo, dernières déclarations au tribunal, novembre 2025

Un prisonnier parmi d’autres ex-présidents

Pedro Castillo purgera sa peine dans la prison spéciale de Barbadillo, à l’est de Lima. Un établissement qui ressemble davantage à une petite caserne qu’à une geôle classique. Là-bas, trois anciens chefs d’État péruviens occupent déjà des cellules : Alejandro Toledo, Ollanta Humala et, depuis mercredi, Martín Vizcarra, condamné à 14 ans pour corruption.

Quatre présidents en activité ou anciens derrière les mêmes murs. Un record mondial qui en dit long sur l’instabilité chronique du Pérou depuis 2016 : sept chefs d’État en neuf ans, dont trois destitués par le Parlement.

Depuis 2016, le Pérou a connu :

  • 3 présidents destitués par le Congrès
  • 2 démissions
  • 2 présidents par intérim
  • Plus de 50 morts lors des manifestations post-Castillo

7 décembre 2022 : le jour où tout a basculé

Ce matin-là, le Congrès devait examiner une troisième motion de destitution contre Castillo pour « incapacité morale permanente ». Les sondages donnaient la motion gagnante à une large majorité. Vers midi, sans prévenir son propre parti ni ses ministres, le président apparaît à la télévision et lit un message préparé à la hâte.

Il annonce la dissolution immédiate du Parlement, un couvre-feu national et la convocation d’une Assemblée constituante. Problème : l’armée et la police refusent de le suivre. À 14 h 30, le Congrès vote sa destitution à 101 voix sur 130. À 15 h, Castillo quitte le palais dans une voiture officielle avec sa famille, direction l’ambassade du Mexique pour demander l’asile. Il n’arrivera jamais : arrêté sur l’avenue España, menotté, filmé par les chaînes d’information.

Betssy Chávez, l’autre grande condamnée

L’ancienne Première ministre, qui avait signé le décret de dissolution aux côtés de Castillo, écope de la même peine : 11 ans et 5 mois. Depuis le 3 novembre dernier, elle vit recluse à l’ambassade du Mexique à Lima, qui lui a accordé l’asile politique. Le Pérou exige son extradition, Mexico refuse. Une situation qui risque de tendre encore les relations déjà fraîches entre les deux pays.

Un président « des pauvres » qui dérangeait

Quand Pedro Castillo gagne l’élection en juin 2021 avec 50,12 % des voix au second tour face à Keiko Fujimori, c’est une onde de choc. Pour la première fois, un homme issu des zones rurales andines, parlant quechua, sans diplôme universitaire prestigieux, sans parti puissant derrière lui, accède au palais présidentiel.

Surnommé « le président des pauvres », il portait les espoirs de millions de Péruviens oubliés par Lima. Promesse phare : une nouvelle Constitution pour remplacer celle de 1993, héritée de l’ère Fujimori et accusée de favoriser les élites. Mais dès les premiers mois, le Congrès, dominé par la droite, lui mène la vie impossible : deux motions de censure, refus de nommer ses ministres, enquêtes tous azimuts.

« Ici est emprisonné un innocent. Il n’a pas volé un seul sol. »

Julia Buendía, sympathisante de 54 ans, devant la prison Barbadillo

La répression qui a suivi : plus de 50 morts

La chute de Castillo a ouvert une période parmi les plus violentes de l’histoire récente du pays. Sa vice-présidente Dina Boluarte prend le pouvoir et fait face à une vague de manifestations massives dans le sud andin. L’armée et la police tirent à balles réelles. Bilan officiel : au moins 50 civils tués, des centaines de blessés. Aucun militaire n’a été condamné à ce jour.

Pour beaucoup de Péruviens, surtout dans les campagnes, Castillo reste un martyr. Pour d’autres, il a franchi la ligne rouge en tentant de rompre l’ordre constitutionnel. Deux visions irréconciliables qui continuent de fracturer le pays.

Et maintenant ?

Pedro Castillo ne sortira pas avant mai 2034 au plus tôt. À 65 ans aujourd’hui, il en aura 75. Son parti Perú Libre s’est fracturé, ses anciens alliés l’ont lâché ou ont été arrêtés. Pourtant, dans les marchés de Cusco ou les villages de Puno, on continue de vendre des casquettes à son effigie et des pancartes « Libertad para Pedro ».

Le Pérou, lui, continue sa valse présidentielle : Dina Boluarte termine son mandat en 2026 dans un climat de défiance totale. Les sondages donnent déjà le prochain Congrès encore plus fragmenté. Rien n’indique que l’histoire ne se répétera pas.

Une chose est sûre : l’enseignant de Chota qui rêvait de changer le Pérou a, malgré lui, déjà changé le cours de son histoire. Pour le meilleur ou pour le pire, l’avenir le dira.

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