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Parrain de la drogue relâché à Saint-Ouen malgré sa condamnation

Rebondissement au procès d'un baron de la drogue à Saint-Ouen : condamné à 20 ans de prison, il est relâché en pleine audience pour des vices de forme. La justice est-elle trop laxiste face aux puissants réseaux criminels ?

Dans les milieux judiciaires et policiers, c’est la stupeur et la consternation. Samir Ider, 45 ans, présenté comme l’un des plus importants trafiquants de drogue de Seine-Saint-Denis, a été remis en liberté de façon totalement inattendue jeudi 27 juin en plein procès. Une décision qui soulève de vives critiques sur le laxisme de la justice face à la criminalité organisée.

20 ans de prison et soudain relâché

Samir Ider n’est pas un délinquant comme les autres. Déjà condamné en 2018 à 20 ans de réclusion criminelle pour un vaste trafic de cocaïne entre la France et le Brésil, il comparaissait depuis le 13 juin devant le tribunal correctionnel de Bobigny, aux côtés de huit autres prévenus. Tous sont accusés d’avoir orchestré, entre 2018 et 2021, un juteux trafic de cocaïne, cannabis et armes à feu en région parisienne et jusqu’en Belgique.

Considéré comme le chef de ce réseau tentaculaire, Samir Ider risquait gros. Le procureur avait requis à son encontre 15 années de prison supplémentaires. C’était sans compter un coup de théâtre survenu le 27 juin, en pleine audience : la chambre des appels correctionnels de Paris a ordonné sa remise en liberté immédiate. Le lendemain, le “parrain” ne s’est même pas présenté devant ses juges.

Des vices de procédure invalidant les poursuites

Comment un tel caïd a-t-il pu être relâché aussi facilement ? C’est l’œuvre de son avocat, Me Thomas Bidnic, qui a mené tout au long du procès une véritable “guérilla de procédure”. Dénonçant des faux en écriture, des carences de signatures sur des actes… le pénaliste a soulevé de multiples vices de forme. La cour d’appel lui a finalement donné raison, invalidant de fait les poursuites contre son client.

Une situation ubuesque pour les enquêteurs qui avaient minutieusement démantelé le réseau de Samir Ider. Lors des arrestations, un impressionnant arsenal de fusils d’assaut et d’explosifs avait été saisi, illustrant la puissance de feu de cette équipe aguerrie qui écoulait des centaines de kilos de drogue en Île-de-France et dans plusieurs grandes villes de province.

Colère des policiers et magistrats

Du côté des forces de l’ordre et de l’institution judiciaire, la pilule a du mal à passer. Un officier de police judiciaire ayant travaillé sur le dossier s’insurge :

Enquêter pendant des mois, mettre sa vie en danger pour arrêter ces individus dangereux, et les voir ressortir aussi facilement ? On marche sur la tête ! C’est très démotivant et ça donne un sentiment d’impunité à ces voyous.

– Un officier de la PJ 93

Même dépit du côté de l’accusation. Le parquet de Bobigny regrette une “occasion manquée de sanctionner lourdement les têtes pensantes du trafic de stupéfiants qui gangrène le département”. Et craint que ce revers judiciaire n’encourage les réseaux criminels locaux à poursuivre leurs activités en toute quiétude.

Procédure et droits de la défense, au détriment de la répression ?

Cette affaire illustre en tout cas la difficulté de concilier la nécessaire protection des droits des mis en cause avec une répression pénale ferme et efficace. En s’arc-boutant sur la procédure, la défense est parvenue à faire libérer un lourd délinquant au casier long comme le bras, contre l’avis des juges du fond.

Certes, nul ne conteste le principe fondamental des droits de la défense. Mais quand des criminels endurcis parviennent à échapper à la prison pour des vices de forme, c’est l’efficacité de toute la chaîne pénale qui est remise en cause. Un sentiment d’injustice et d’impuissance qui exaspère les acteurs de terrain, et contribue à éroder la confiance des citoyens dans leur justice.

Une fermeté judiciaire plus que jamais attendue

Face à l’enracinement des puissantes économies souterraines de la drogue dans certains quartiers, policiers, magistrats et riverains en appellent à un réel durcissement de la réponse pénale. Peines-planchers pour les trafiquants, moyens d’enquête renforcés, simplification des procédures… Des revendications répétées, mais jusqu’ici peu suivies d’effets.

L’épisode de Saint-Ouen, où l’un des principaux pourvoyeurs de drogue du secteur repart libre comme l’air malgré une condamnation à 20 ans de réclusion, illustre cruellement les failles d’un système judiciaire souvent perçu comme trop laxiste. Dans les quartiers gangrenés par les trafics, cet épilogue laisse un goût amer et alimente les tensions. Élus locaux et associations plaident pour une mobilisation bien plus massive des pouvoirs publics, seule à même de reconquérir ces territoires abandonnés à la loi des caïds.

Tant que l’État et la Justice ne se donneront pas les moyens d’une réponse pénale réellement dissuasive face au crime organisé, des affaires comme celle de Samir Ider se répéteront. Avec à chaque fois son lot d’incompréhension, de colère et de résignation de la part des habitants et des forces de l’ordre. La lutte contre les narcotrafics est un combat de longue haleine qui exige une détermination sans faille, à rebours des atermoiements et reculades qui ont trop souvent prévalu. Un sursaut s’impose pour éviter que d’autres caïds de la drogue ne se rient aussi facilement des lois de la République.

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