Dans une ruelle discrète du XIe arrondissement de Paris, un bâtiment discret cache une histoire qui fait débat. Pendant des décennies, ce lieu a été un refuge pour des étudiantes, un foyer où la simplicité et la solidarité régnaient. Mais en août 2024, ses portes se sont fermées, et un nouveau projet a vu le jour : un coliving, symbole d’une modernité qui divise. Pourquoi ce changement ? Et que dit-il des transformations profondes de la capitale française ?
À l’heure où les loyers parisiens atteignent des sommets, ce choix soulève des questions brûlantes. Entre hausse des coûts immobiliers, gentrification et quête de rentabilité, l’histoire de cet immeuble résonne comme un écho des défis auxquels font face les jeunes générations. Plongeons dans cette transformation controversée.
Un Foyer Chargé d’Histoire Transformé
Au cœur du XIe arrondissement, un immeuble discret abritait depuis plus de cinquante ans un foyer dédié aux étudiantes. Géré par une congrégation religieuse, ce lieu offrait un cadre modeste mais chaleureux à une soixantaine de jeunes femmes. Les murs, protégés par une haute enceinte blanche, étaient un havre de paix dans une ville souvent frénétique.
Les étudiantes, venues d’horizons divers, y trouvaient bien plus qu’un toit. C’était un espace de partage, où les valeurs de communauté et de soutien mutuel prédominaient. Les chambres, sobres, étaient abordables, un luxe rare dans une ville où le mètre carré s’arrache à prix d’or.
Ce foyer, c’était comme une famille. On partageait tout, des repas aux révisions. Aujourd’hui, c’est fini, et ça fait mal au cœur.
Ancienne résidente, 2024
Mais en août 2024, ce chapitre s’est clos. La paroisse propriétaire des lieux a décidé de confier la gestion de l’immeuble à une entreprise spécialisée dans le coliving, un concept en pleine expansion. Ce choix, motivé par des contraintes économiques, n’a pas manqué de provoquer des remous.
Pourquoi Fermer un Foyer Étudiant ?
La raison principale de cette transformation réside dans l’envolée des loyers parisiens. Entre 2019 et 2024, les prix de l’immobilier dans la capitale ont grimpé de manière vertigineuse. Selon les données récentes, le loyer moyen pour un studio à Paris dépasse désormais les 900 euros par mois, hors charges. Pour un foyer géré avec des moyens limités, maintenir des tarifs accessibles devenait une mission quasi impossible.
La paroisse, confrontée à des coûts d’entretien croissants et à une baisse des subventions, a dû faire un choix. Continuer à exploiter le foyer impliquait des travaux coûteux pour respecter les normes modernes, sans garantie de rentabilité. La solution ? Passer la main à une entreprise capable d’investir et de transformer l’espace en un produit plus lucratif : le coliving.
Le saviez-vous ? Le coliving combine des espaces privatifs (chambres ou petits studios) avec des espaces communs (cuisines, salons, espaces de travail). Ce modèle, populaire auprès des jeunes professionnels, promet flexibilité et modernité, mais à quel prix ?
Le Coliving : Une Solution ou un Symbole ?
Le coliving séduit de plus en plus à Paris. Ce modèle, qui mêle logement individuel et espaces partagés, répond aux besoins d’une génération mobile, souvent célibataire ou en début de carrière. Les entreprises qui exploitent ces espaces promettent des intérieurs design, des services inclus (Wi-Fi, ménage, abonnements streaming) et une communauté intégrée. Mais derrière cette façade attrayante, le coût est souvent prohibitif.
Dans le cas de cet immeuble, le futur coliving devrait proposer des loyers bien plus élevés que ceux du foyer. Si une chambre dans l’ancien foyer coûtait environ 500 euros par mois, les tarifs du coliving pourraient approcher les 1 200 euros, voire plus, selon les standards du marché. Une différence qui exclut de fait les étudiantes modestes qui occupaient autrefois les lieux.
Pour beaucoup, ce passage au coliving symbolise une forme de gentrification. Les quartiers populaires, comme le XIe arrondissement, se transforment sous la pression immobilière, chassant peu à peu les populations moins aisées. Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il prend une tournure particulièrement sensible lorsqu’il touche un lieu à vocation sociale, géré par une institution religieuse.
Une Décision Qui Divise
Le choix de la paroisse a suscité des réactions contrastées. Pour certains, il s’agit d’une adaptation pragmatique à une réalité économique implacable. Les frais d’entretien, les normes de sécurité et la nécessité de moderniser les installations ont poussé les responsables à opter pour une solution viable à long terme.
On ne peut pas reprocher à la paroisse de chercher à préserver son patrimoine. Sans cette transformation, l’immeuble aurait pu être vendu à un promoteur immobilier.
Responsable paroissial, 2024
Pour d’autres, cependant, cette décision est perçue comme une trahison des valeurs portées par le foyer. Les étudiantes, souvent issues de milieux modestes, se retrouvent sans alternative abordable dans une ville où les logements étudiants sont rares. Les critiques pointent du doigt une forme d’hypocrisie : comment une institution religieuse peut-elle privilégier la rentabilité au détriment de sa mission sociale ?
Sur les réseaux sociaux, les commentaires vont bon train. Certains anciens résidents expriment leur tristesse, tandis que d’autres dénoncent une « marchandisation » du logement. Le débat dépasse le cadre de cet immeuble et touche à des questions plus larges : comment concilier tradition et modernité ? Comment garantir l’accès au logement pour les jeunes dans une métropole hors de prix ?
Paris et la Crise du Logement Étudiant
L’histoire de ce foyer s’inscrit dans un contexte plus large : la crise du logement étudiant à Paris. Avec plus de 700 000 étudiants en Île-de-France, la demande de logements abordables explose. Pourtant, l’offre reste cruellement insuffisante. Les résidences universitaires publiques, gérées par le CROUS, ne peuvent accueillir qu’une fraction des demandeurs, et les loyers du marché privé sont inaccessibles pour beaucoup.
Pour mieux comprendre l’ampleur du problème, voici quelques chiffres clés :
- En 2024, le loyer moyen pour un studio à Paris est de 920 euros par mois.
- Seuls 12 % des étudiants parisiens ont accès à un logement CROUS.
- Les loyers ont augmenté de 15 % en moyenne entre 2020 et 2024.
Face à cette situation, les étudiants doivent souvent se tourner vers des solutions précaires : colocations surpeuplées, logements insalubres ou encore longs trajets depuis la banlieue. Le passage au coliving, bien que séduisant pour certains, ne résout pas ce problème. Au contraire, il accentue l’exclusion des plus précaires.
Quel Avenir pour les Foyers Traditionnels ?
La fermeture de ce foyer pose une question essentielle : quel est l’avenir des institutions à vocation sociale dans une ville comme Paris ? Les foyers religieux, qui ont longtemps joué un rôle clé dans l’accueil des jeunes, sont de plus en plus rares. Confrontés aux mêmes pressions économiques que les particuliers, beaucoup doivent céder leurs biens ou les transformer.
Pourtant, ces lieux ont une valeur qui dépasse le simple aspect financier. Ils incarnent une vision du logement comme un droit, et non comme une marchandise. Leur disparition progressive laisse un vide, tant sur le plan pratique que symbolique.
Des initiatives existent pour contrer cette tendance. Certaines associations militent pour la création de nouveaux foyers abordables, tandis que des collectifs d’étudiants appellent à une régulation plus stricte des loyers. Mais ces efforts se heurtent à la réalité d’un marché immobilier impitoyable.
Vers une Ville Réservée aux Plus Aisés ?
En transformant un foyer étudiant en coliving, cet immeuble du XIe arrondissement illustre une tendance inquiétante : la privatisation progressive de l’espace urbain. À Paris, les projets immobiliers se multiplient, souvent au détriment des populations modestes. Les quartiers autrefois accessibles deviennent des enclaves pour une élite financièrement favorisée.
Cette évolution soulève des questions éthiques. Une ville peut-elle rester vivante si elle exclut ses jeunes, ses étudiants, ses travailleurs précaires ? La diversité, qui fait la richesse de Paris, est-elle condamnée à s’effacer face aux impératifs économiques ?
Paris devient une ville musée, belle mais inaccessible. Si les jeunes ne peuvent plus y vivre, elle perdra son âme.
Urbaniste, 2024
Pour l’instant, le coliving de la rue René-Villermé n’a pas encore ouvert ses portes. Mais son inauguration, prévue pour 2025, sera scrutée de près. Sera-t-il un modèle de modernité, comme le promettent ses promoteurs ? Ou un symbole de plus de l’inaccessibilité croissante de la capitale ?
Que Faire pour Changer la Donne ?
Face à cette situation, plusieurs pistes pourraient être explorées pour préserver l’accès au logement pour les étudiants et les jeunes à Paris :
- Renforcer les aides au logement : Augmenter les APL (aides personnalisées au logement) pour compenser la hausse des loyers.
- Réguler le marché immobilier : Imposer des plafonds de loyer dans les zones tendues comme Paris.
- Développer l’offre publique : Construire davantage de résidences universitaires abordables.
- Soutenir les foyers associatifs : Offrir des subventions aux institutions à vocation sociale pour éviter leur fermeture.
Ces mesures, bien que complexes à mettre en œuvre, pourraient redonner de l’espoir à une génération qui se sent de plus en plus exclue. En attendant, l’histoire de cet immeuble reste un rappel brutal des tensions qui traversent la capitale.
En conclusion, la transformation d’un foyer étudiant en coliving n’est pas qu’une anecdote immobilière. Elle reflète les défis d’une ville en mutation, où la quête de rentabilité menace les idéaux de solidarité et d’accessibilité. Alors que Paris continue d’évoluer, une question demeure : quelle place restera-t-il pour ceux qui font battre son cœur, ses jeunes et ses rêveurs ?