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Pape Léon XIV : Moins Peur de l’Islam et Plus de Dialogue

Le pape Léon XIV demande aux catholiques d’Occident d’avoir « moins peur » de l’islam et cite le Liban comme modèle de vivre-ensemble. Mais ce pays multiconfessionnel est-il vraiment l’exemple à suivre alors que plane encore le souvenir de la guerre civile ?

Imaginez-vous dans l’avion papal, à 10 000 mètres au-dessus de la Méditerranée. Le successeur de Pierre, un Américain devenu Léon XIV, répond aux journalistes. Une question fuse : « Saint-Père, beaucoup de catholiques voient l’islam comme une menace pour l’identité chrétienne de l’Occident. Que leur dites-vous ? » Sa réponse tombe, nette : « Nous devrions peut-être être un peu moins craintifs. » Et il désigne le Liban comme une « grande leçon » de coexistence.

Un appel qui fait l’effet d’une bombe

Cette phrase, prononcée le 3 décembre 2025 au retour de Beyrouth, a immédiatement enflammé les réseaux et les cercles catholiques traditionnels. Pour les uns, c’est un message d’ouverture courageux. Pour les autres, une nouvelle preuve que l’Église tourne le dos à ceux qui défendent les racines chrétiennes de l’Europe.

Le pape ne nie pas l’existence de peurs. Il les reconnaît, les nomme, puis les renvoie aussitôt à ceux qui, selon lui, les « alimentent » : les opposants à l’immigration, accusés de vouloir « exclure » ceux qui viennent « d’une autre religion ou d’une autre origine ethnique ».

En une phrase, Léon XIV vient de tracer une frontière : d’un côté les chrétiens ouverts au dialogue, de l’autre ceux qui seraient mus par la peur et le rejet. Le ton est posé.

Le Liban, vraiment un modèle ?

Le cœur de l’argument pontifical repose sur le Liban. « Un pays où l’islam et le christianisme sont présents et respectés », dit-il. Un pays où « il est possible de vivre ensemble, d’être amis ».

Mais quand on gratte un peu, la réalité libanaise est bien plus complexe que cette carte postale œcuménique.

Oui, le Liban reste l’un des rares pays du Moyen-Orient où les chrétiens représentent encore une part significative de la population (environ 35 % selon les estimations les plus récentes). Oui, le système politique est fondé sur un équilibre confessionnel : la présidence pour les maronites, le poste de Premier ministre pour les sunnites, la présidence du Parlement pour les chiites.

Mais cet équilibre est fragile. Extrêmement fragile.

La guerre civile de 1975-1990 a fait plus de 150 000 morts. Des quartiers entiers de Beyrouth ont été rasés. Des massacres confessionnels ont eu lieu des deux côtés. Les chrétiens, majoritaires en 1932, sont devenus minoritaires en quelques décennies à cause de l’émigration et d’une natalité plus faible.

Aujourd’hui encore, le Hezbollah chiite, armé jusqu’aux dents, pèse plus lourd que l’État lui-même. Les tensions entre communautés n’ont jamais disparu, elles couvent sous la cendre.

Dire que le Liban est un modèle de « vivre-ensemble » pacifique, c’est oublier que ce pays survit grâce à un pacte de non-agression précaire, pas grâce à une fusion joyeuse des identités.

Quand l’Église semble ignorer la réalité européenne

En Europe, les catholiques qui s’inquiètent ne parlent pas d’un fantasme. Ils voient des églises transformées en mosquées, des processions de la Fête-Dieu interdites pour ne pas « provoquer », des quartiers où la charia informelle s’installe doucement.

Ils constatent que dans certains pays, le nombre de musulmans a été multiplié par dix en cinquante ans. Et que l’islam majoritaire pratiqué par les nouveaux arrivants n’est pas toujours celui, modéré, des anciennes vagues d’immigration.

Lorsque Léon XIV parle de « dialogue authentique et de respect », beaucoup se demandent : avec qui ? Avec les imams qui prônent la séparation ? Avec les Frères musulmans ? Avec ceux qui considèrent que la loi divine doit primer sur la loi républicaine ?

Le dialogue suppose deux parties prêtes à reconnaître l’autre comme égal. Or, une partie non négligeable des courants islamistes refuse précisément cette réciprocité.

Une constante depuis Vatican II

Cet appel à « moins de crainte » n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une longue lignée qui commence avec Nostra Ætate en 1965 et se poursuit avec Jean-Paul II embrassant le Coran à Damas, Benoît XVI et son discours de Ratisbonne (suivi d’excuses), puis François multipliant les gestes envers l’islam.

Léon XIV, premier pape américain, semble vouloir aller encore plus loin. Son style direct, presque pastoral protestant, tranche avec la prudence diplomatique de ses prédécesseurs.

Mais ce ton franc ne masque pas la question de fond : l’Église catholique est-elle prête à accompagner les peuples européens dans la défense de leur héritage culturel chrétien, ou considère-t-elle que cet héritage doit s’effacer au nom d’un universalisme sans frontières ?

Les catholiques identitaires ne désarment pas

Dans les milieux traditionalistes et conservateurs, la réaction est immédiate. On parle de « soumission compassionnelle », de « déni de réalité », voire de « trahison ».

Certains rappellent que le Liban que le pape idéalise est aussi le pays où les chrétiens ont dû fuir en masse après la guerre. Que Beyrouth, autrefois surnommée « le Paris du Moyen-Orient », est devenue une ville où les quartiers chrétiens se vident inexorablement.

D’autres soulignent l’asymétrie : quand un chrétien brûle un coran en Suède, c’est un scandale mondial. Quand des églises sont saccagées au Nigeria ou au Pakistan, l’indignation est bien plus discrète.

Et maintenant ?

Le pape Léon XIV a ouvert une boîte de Pandore. En quelques phrases, il a cristallisé un débat qui dépasse largement le cercle des spécialistes de théologie.

D’un côté, ceux qui estiment qu’un chrétien doit tendre l’autre joue, accueillir l’étranger, dépasser la peur par la charité. De l’autre, ceux qui pensent qu’accueillir sans discernement revient à organiser sa propre disparition.

Entre les deux, des millions de catholiques ordinaires qui aiment leur foi, leur pays, leur histoire, et qui ne comprennent plus pourquoi on leur demande de renoncer à tout cela au nom d’un œcuménisme à sens unique.

Le voyage au Liban du pape Léon XIV restera sans doute comme le moment où l’Église catholique a choisi, une fois de plus, de parler d’amour là où beaucoup attendent qu’elle parle de vérité.

Et pendant ce temps, en Europe, les cloches sonnent moins fort qu’autrefois.

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Le débat est lancé. Il ne fait que commencer.

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