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Pakistan : Un Journaliste Arrêté Pour Avoir Enquêté Sur Des Morts

Un journaliste pakistanais a été arrêté alors qu'il enquêtait sur de possibles morts lors de la répression de manifestations. Cette affaire soulève des questions sur la liberté de la presse et les droits humains au Pakistan. Que s'est-il passé exactement ? Quelles seront les conséquences pour le journaliste et le pays ?

La liberté de la presse est un pilier fondamental de toute société démocratique. Pourtant, dans de nombreux pays à travers le monde, les journalistes font face à des menaces, des intimidations et même des arrestations lorsqu’ils tentent de faire leur travail d’investigation. C’est malheureusement ce qui est arrivé récemment à un reporter pakistanais qui enquêtait sur de possibles morts lors de la répression de manifestations pro-Imran Khan.

Un journaliste arrêté pour avoir voulu faire la lumière

Mardi dernier, plus de 10 000 partisans de l’ex-Premier ministre Imran Khan ont défilé à Islamabad, la capitale pakistanaise. Les autorités ont accusé les manifestants d’avoir tué cinq membres des forces de sécurité, tandis que le parti d’Imran Khan, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), affirme qu’au moins dix de ses militants sont décédés. Le gouvernement maintient de son côté qu’aucun civil n’a perdu la vie lors de ces défilés émaillés de violences.

C’est dans ce contexte tendu que Matiullah Jan, présentateur sur Neo News, s’est rendu avec un confrère dans un hôpital d’Islamabad ayant reçu des manifestants blessés. Leur objectif ? Tenter de déterminer le nombre réel de morts. Mais alors qu’ils menaient leur enquête, les deux journalistes ont été interpellés mercredi en fin de journée.

Détention provisoire et accusations de terrorisme

Si le second journaliste a rapidement été libéré, Matiullah Jan n’a pas eu cette chance. Selon son avocate Imaan Mazari, il a été placé deux jours en détention provisoire « en vertu de la loi anti-terroriste pour tentative de meurtre sur personne dépositaire de l’autorité publique en service ». Une accusation grave qui soulève de nombreuses questions.

La police d’Islamabad donne une tout autre version des faits. Elle affirme avoir arrêté le présentateur en « possession de stupéfiants » alors qu’il « agressait un officier sous l’emprise de l’alcool ». Des allégations que l’avocate de M. Jan rejette catégoriquement, expliquant que son client et son collègue ne faisaient que leur travail de journalistes en tentant d’établir la vérité sur le nombre de victimes.

Un journaliste critique du pouvoir

Matiullah Jan n’en est pas à sa première confrontation avec les autorités pakistanaises. Connu pour ses positions critiques envers l’armée, institution toute-puissante dans le pays, il avait déjà été arrêté par des hommes en uniforme sous le mandat d’Imran Khan entre 2018 et 2022.

Cette nouvelle arrestation suscite l’indignation des défenseurs de la liberté de la presse. La Commission pakistanaise des droits humains (HRCP), principale ONG du pays, s’est insurgée contre « cette stratégie autoritaire pour faire taire les journalistes ». De son côté, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a appelé Islamabad à « libérer immédiatement » M. Jan et à « garantir sa sécurité ».

Répression violente et usage excessif de la force

Au-delà du cas de Matiullah Jan, c’est toute la gestion des manifestations pro-Imran Khan par les autorités pakistanaises qui est pointée du doigt. Amnesty International a accusé les forces de sécurité d’avoir utilisé « une force excessive et illégale » lors des défilés de mardi.

Selon des journalistes de l’AFP présents sur place, la police et les paramilitaires ont tiré des grenades lacrymogènes et des balles en caoutchouc sur les manifestants qui répliquaient avec des pierres et des bâtons. Le gouvernement nie pour sa part tout tir à balles réelles.

L’ancien Premier ministre Imran Khan, très populaire au Pakistan, a été destitué en avril 2022 par une motion de censure. Depuis, il fait pression pour obtenir des élections anticipées et mobilise régulièrement ses partisans dans la rue. Ses relations avec l’armée, qui l’avait soutenu pour accéder au pouvoir en 2018, se sont fortement détériorées.

Lois anti-terroristes utilisées pour museler l’opposition

Les défenseurs des droits humains dénoncent l’utilisation abusive des lois anti-terroristes par les autorités pakistanaises pour faire taire les voix critiques et museler l’opposition. Le placement en détention provisoire de Matiullah Jan au motif de « tentative de meurtre » alors qu’il ne faisait qu’enquêter en est un exemple frappant.

Cette dérive autoritaire inquiète la société civile pakistanaise qui craint un recul des libertés fondamentales dans le pays. Les journalistes et médias indépendants sont particulièrement visés par la répression, comme le montre le sort réservé au présentateur de Neo News.

Le Pakistan est classé à la 145e place sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières. Les journalistes y sont fréquemment la cible de menaces, de poursuites judiciaires abusives, voire d’agressions physiques. Certains payent de leur vie leur engagement en faveur de la vérité, à l’instar du reporter Aziz Memon, retrouvé mort en février 2020 après avoir enquêté sur les liens entre politiques et groupes criminels.

Un climat délétère pour la liberté d’expression

L’affaire Matiullah Jan s’inscrit dans un contexte de dégradation de la liberté d’expression au Pakistan. Ces dernières années, le gouvernement a renforcé son contrôle sur les médias, n’hésitant pas à bloquer des sites d’information, suspendre des chaînes de télévision et intimider les journalistes critiques.

En 2020, le pouvoir a fait adopter un règlement donnant à l’autorité de régulation des médias électroniques le pouvoir de censurer tout contenu jugé « préjudiciable » à l’Islam, l’intégrité ou la sécurité du Pakistan. Une disposition suffisamment vague pour permettre tous les abus.

Face à cette dérive liberticide, la mobilisation de la société civile et de la communauté internationale est plus que jamais nécessaire. L’arrestation de Matiullah Jan doit servir d’électrochoc et pousser le Pakistan à renouer avec les valeurs démocratiques.

La liberté de la presse n’est pas négociable. Elle est indispensable au bon fonctionnement d’une société et permet de faire éclater la vérité, aussi dérangeante soit-elle pour le pouvoir en place. Soutenir les journalistes pakistanais dans leur combat quotidien, c’est défendre le droit de chaque citoyen à une information libre et plurielle.

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