Imaginez un village niché dans une vallée verdoyante, soudain englouti par une vague de boue. Au Pakistan, ce scénario se répète chaque année avec la mousson, transformant une saison vitale en cauchemar. Si les pluies diluviennes sont inévitables, les experts pointent du doigt un coupable bien humain : l’urbanisme anarchique et la corruption. Ces facteurs, mêlés aux effets du changement climatique, amplifient les catastrophes, coûtant des centaines de vies et des milliards de dollars. Cet article explore comment des décisions humaines aggravent les désastres naturels et ce qui pourrait changer la donne.
Une Mousson Meurtrière Amplifiée par l’Homme
Chaque année, la mousson apporte 70 % des précipitations annuelles en Asie du Sud, essentielle pour l’agriculture. Mais au Pakistan, elle se transforme en fléau. Depuis fin juin, près de 800 personnes ont perdu la vie et un millier ont été blessées dans des inondations, glissements de terrain et électrocutions. Les chiffres sont glaçants, mais ce ne sont pas seulement les caprices du climat qui sont en cause. Les choix humains, ou leur absence, jouent un rôle central.
Des Villages Construits au Bord du Précipice
Dans les vallées montagneuses du nord-ouest, comme à Mingora dans la vallée de Swat, les maisons s’élèvent à quelques mètres des rivières. Ces cours d’eau, paisibles en temps normal, deviennent des torrents furieux pendant la mousson. Fazal Khan, un commerçant de 43 ans, en a fait l’amère expérience. Sa maison, reconstruite après les inondations dévastatrices de 2010, a été à nouveau submergée récemment.
« Nous l’avons reconstruite en 2012 sur des fondations plus solides, mais la semaine dernière, les eaux ont déferlé et l’ont engloutie », confie-t-il, désemparé.
Ce drame n’est pas isolé. Dans de nombreux villages, l’absence de cadastre et de mises en garde officielles pousse les habitants à construire près des rivières, ignorant les risques. Cette proximité avec les canaux d’écoulement naturels transforme chaque pluie en catastrophe potentielle.
Corruption et Permis de Construire : Un Cocktail Explosif
Le Premier ministre pakistanais, Shehbaz Sharif, l’a reconnu lors d’une visite dans les zones sinistrées : les catastrophes ne sont pas seulement l’œuvre de la nature. La corruption dans l’attribution des permis de construire joue un rôle clé. Dans un système clientéliste, les partis politiques distribuent ces permis pour s’assurer des soutiens, sans égard pour la sécurité.
Le résultat ? Des quartiers entiers émergent dans des zones inondables, parfois directement sur des canaux d’évacuation. À Karachi, mégalopole de plus de 20 millions d’habitants, les canalisations, souvent bouchées par des déchets, ne peuvent absorber les pluies. Les routes, construites trop basses, se transforment en rivières. Les infrastructures défaillantes s’effondrent sous le poids de l’eau, entraînant des électrocutions et des effondrements.
Chiffres clés des catastrophes au Pakistan :
- 800 morts depuis fin juin
- 1 000 blessés
- 4 millions de personnes affectées en 2010
- 5 % de couverture forestière, le plus bas d’Asie du Sud
Le Changement Climatique Aggrave la Situation
Si l’homme construit mal, le climat ne pardonne plus. Les pluies diluviennes et les sécheresses extrêmes se multiplient sous l’effet du changement climatique. Sherry Rehman, ancienne ministre, pointe un autre facteur aggravant : l’extractivisme. L’exploitation intensive des ressources minières altère les cours d’eau, tandis que la déforestation massive – la couverture forestière ne dépasse pas 5 % – prive le pays de barrières naturelles contre les inondations.
Les forêts denses, capables de canaliser les eaux, ont presque disparu. Les sols, dénudés, ne retiennent plus l’eau, provoquant des glissements de terrain dévastateurs. Ces phénomènes, combinés à des infrastructures vétustes, transforment chaque mousson en crise humanitaire.
Karachi : Une Mégapole au Bord de l’Asphyxie
Karachi, poumon économique du Pakistan, illustre parfaitement ce chaos. En quelques heures, des pluies torrentielles ont causé la mort de dix personnes, électrocutées ou écrasées sous des toits effondrés. Les causes sont multiples :
- Canalisations bouchées : Les déchets s’accumulent, bloquant l’évacuation des eaux.
- Urbanisme anarchique : Des constructions illégales obstruent les canaux.
- Infrastructures défaillantes : Routes basses et réseaux électriques vétustes.
- Absence de gestion des déchets : Les ordures aggravent les inondations.
Un rapport officiel dénonce une gestion chaotique, où plusieurs juridictions – locales, provinciales et fédérales – se rejettent la responsabilité de l’entretien. Cette fragmentation paralyse toute tentative de réforme.
Des Solutions Coûteuses, Mais Nécessaires
Face à ce désastre, des solutions existent, mais elles ont un coût. Murtaza Wahab, maire de Karachi, explique que rouvrir trois canaux d’évacuation a coûté 180 millions de dollars, dont 50 millions pour reloger les habitants déplacés. Un investissement colossal pour une ville aux ressources limitées.
« C’est facile de dire qu’il faut étendre le réseau de canalisations, mais ça coûte tellement cher qu’il faudrait tout le budget national », déplore Murtaza Wahab.
Pourtant, l’inaction coûte plus cher encore. Les inondations de 2020, qui ont touché des millions de personnes, n’ont pas suffi à déclencher une réforme durable. Les fonds alloués à des projets de développement urbain sont souvent détournés ou mal utilisés, ne laissant qu’une fraction des ressources atteindre leur but.
Un Problème Politique Avant Tout
Pour les observateurs, le cœur du problème est politique. Les partis s’appuient sur un système clientéliste, où les permis de construire servent de monnaie d’échange. Ce système, profondément enraciné, empêche toute planification urbaine cohérente. Taha Ahmed Khan, député d’opposition, résume :
« Karachi n’est pas dévastée par la pluie, mais par des années de négligence. »
Les projets d’infrastructure, comme une rocade récente à Karachi, créent parfois plus de problèmes qu’ils n’en résolvent. Cette rocade, par exemple, obstrue trois canaux d’évacuation, aggravant les inondations. Une planification rigoureuse et transparente est indispensable pour briser ce cercle vicieux.
Vers un Avenir Plus Résilient ?
Changer la donne au Pakistan nécessitera un effort colossal. Voici quelques pistes pour un avenir plus résilient :
- Réglementation stricte : Interdire les constructions dans les zones inondables.
- Reforestation : Replanter des forêts pour stabiliser les sols.
- Infrastructures modernes : Investir dans des canalisations et des routes adaptées.
- Transparence politique : Lutter contre la corruption dans l’urbanisme.
- Sensibilisation : Éduquer les communautés sur les risques des constructions près des rivières.
Le Pakistan se trouve à un carrefour. Les catastrophes naturelles, exacerbées par des décennies de négligence, ne cesseront pas sans une volonté politique forte. Chaque mousson est un rappel brutal : l’homme peut aggraver les désastres, mais il peut aussi les prévenir.
En attendant, des familles comme celle de Fazal Khan continuent de vivre dans la peur des prochaines pluies. La question reste ouverte : le Pakistan saura-t-il tirer les leçons de ses erreurs avant la prochaine catastrophe ?