Un duel de titans se joue actuellement au Pakistan, opposant le pouvoir exécutif et la justice. Et dans cette manche, c’est le gouvernement qui semble avoir pris le dessus. Une réforme constitutionnelle ultra-sensible vient en effet d’être adoptée, donnant à l’exécutif plus de contrôle sur le renouvellement des juges des plus hautes cours du pays. Mais derrière les arguments officiels, beaucoup y voient une manœuvre politique pour soumettre une justice jugée trop clémente envers le principal opposant au pouvoir: l’ex-Premier ministre Imran Khan.
Une réforme adoptée dans la précipitation
C’est au terme d’un long feuilleton politique que le 26ème amendement de la Constitution pakistanaise a été voté lundi à l’aube, à une courte majorité d’une voix. Durant des semaines, le gouvernement avait annoncé comme imminente l’adoption de cette révision dont le contenu exact n’a jamais été rendu public ni débattu. Selon des fuites, le texte aurait été largement amendé au dernier moment avant d’être soumis au vote.
Le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme Volker Türk a dénoncé une réforme « adoptée à la hâte, sans large consultation ni débat » qui « va gravement saper l’indépendance de la justice ». Des critiques balayées par le gouvernement pakistanais, qui parle d’« insinuations sans fondement » basées sur « de fausses informations ».
L’exécutif renforce son emprise sur les nominations
Concrètement, cet amendement donne au Parlement et au gouvernement le pouvoir de choisir le président de la Cour suprême, le tribunal qui tranche les affaires les plus sensibles politiquement. Jusqu’ici, c’était le juge le plus âgé de la Cour qui succédait automatiquement au président partant à la retraite.
La réforme accorde également une représentation plus importante à l’exécutif au sein de la commission chargée de nommer, évaluer ou sanctionner les plus hauts magistrats. Un changement qui « avantage le gouvernement actuel » et lui permet « potentiellement de mettre la justice au pas », s’inquiète la Commission pakistanaise des droits humains (HRCP), principale ONG de défense des libertés dans le pays.
Mettre au pas une justice trop indépendante ?
Pour beaucoup, le véritable but de cette réforme est de soumettre un appareil judiciaire perçu comme une « véritable épine dans le pied du pouvoir, en particulier de l’armée », selon un avocat à la Cour suprême cité anonymement. Car des juges ont parfois écarté des Premiers ministres et autres politiques, un « militantisme judiciaire » que le gouvernement veut désormais encadrer.
La justice pakistanaise est notamment vue comme trop clémente envers Imran Khan, principal opposant au gouvernement actuel soutenu par l’armée. L’ancien Premier ministre est aujourd’hui en prison pour de multiples affaires, mais a bénéficié de plusieurs décisions judiciaires en sa faveur.
Vers une justice aux ordres du pouvoir?
Avec cette réforme, les juges pourraient désormais être tentés d’« obtenir des postes » en rendant des « jugements pro-gouvernement », redoute un avocat à la Cour suprême. L’indépendance de la justice et l’État de droit seraient mis à mal par ce texte, qui menace aussi « les libertés » selon des experts légaux.
La Commission internationale des juristes (ICJ) s’alarme ainsi d’un amendement qui « porte un coup à l’État de droit et à la protection des droits humains ». La réforme crée notamment un nouveau Conseil pour statuer sur les questions constitutionnelles, au cœur des différends entre gouvernement et opposition. Mais sa « crédibilité » et son indépendance face aux « interférences politiques directes » inquiètent.
Ce plan, c’est une révision constitutionnelle adoptée à une majorité d’une voix seulement au terme d’un long feuilleton politique. Avec ce texte, le gouvernement a trouvé le moyen de soumettre l’appareil judiciaire.
Alors que le Pakistan traverse une période politique tendue, cette réforme judiciaire controversée ajoute encore à la confusion. Beaucoup craignent qu’elle ne serve à instrumentaliser la justice pour régler des comptes politiques, au détriment de son indépendance et de l’État de droit. Un nouvel épisode dans le bras de fer qui oppose pouvoir et justice au Pakistan, dont l’issue reste incertaine mais lourde d’enjeux pour la démocratie.