Imaginez une marche de milliers de personnes, brandissant des pancartes, scandant des slogans enflammés, défiant l’ordre établi dans les rues poussiéreuses d’une ville pakistanaise. Cette scène, loin d’être une simple manifestation, a récemment plongé le Pakistan dans une crise majeure, aboutissant à l’interdiction d’un parti islamiste radical, le Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP). Ce mouvement, connu pour ses positions extrêmes et ses actions violentes, a secoué le pays avec des affrontements ayant coûté la vie à cinq personnes, dont un policier, près de Lahore. Que s’est-il passé pour en arriver là, et quelles sont les implications de cette décision pour le Pakistan ?
Une Interdiction aux Racines Profondes
Le gouvernement pakistanais a pris une mesure radicale en interdisant le TLP, un parti qui, depuis des années, alimente les tensions sociales et religieuses dans le pays. Cette décision, annoncée le jeudi suivant une réunion du cabinet fédéral, repose sur des accusations graves : le TLP serait impliqué dans des activités terroristes et des violences lors de manifestations. Mais pour comprendre l’ampleur de cet événement, il faut remonter aux origines de ce mouvement et à son impact sur la société pakistanaise.
Le TLP : Un Mouvement Controversé
Le Tehreek-e-Labbaik Pakistan, également appelé Mouvement au service du Prophète, est un parti islamiste d’extrême droite qui s’est fait connaître pour ses positions radicales, notamment sur la question du blasphème. Fondé par Khadim Hussain Rizvi, ce mouvement a gagné en popularité en 2016 après l’exécution de Mumtaz Qadri, un garde du corps qui avait assassiné le gouverneur du Pendjab, Salman Taseer, en 2011. Ce dernier avait osé critiquer la loi pakistanaise sur le blasphème, qui prévoit la peine de mort pour toute offense présumée contre l’islam.
« Mumtaz Qadri est un héros pour beaucoup au Pakistan, et le TLP a su transformer ce sentiment en un mouvement de masse. »
Analystes politiques
Le TLP s’appuie sur l’islam Barelvi, un courant sunnite souvent perçu comme modéré, mais pour lequel le blasphème est une ligne rouge absolue. Cette idéologie a permis au parti de mobiliser des milliers de partisans, souvent issus des classes populaires, pour organiser des manifestations massives, parfois paralysant des villes entières comme Lahore ou Islamabad.
Les Événements Déclencheurs
Les récents événements ayant conduit à l’interdiction du TLP ont débuté le 9 octobre, lorsque des milliers de partisans, menés par Saad Rizvi, fils du fondateur du parti, ont entamé une marche depuis Lahore vers Islamabad. Leur objectif ? Protester contre un cessez-le-feu négocié par les États-Unis entre Israël et le Hamas, soutenu par le gouvernement pakistanais. Cette marche, loin d’être pacifique, a rapidement dégénéré en affrontements violents.
Quatre jours plus tard, à Muridke, une ville proche de Lahore, les autorités ont bloqué les routes pour empêcher les manifestants d’avancer. Les heurts qui ont suivi ont été tragiques : cinq personnes, dont un policier, ont perdu la vie. Ces violences ont poussé le gouvernement à agir rapidement, en accusant le TLP de menacer la sécurité nationale.
Les manifestations du TLP ne sont pas un phénomène nouveau. Depuis des années, ce parti a organisé des rassemblements violents, ciblant souvent les minorités religieuses et défiant les forces de l’ordre.
Une Répression Ferme
Face à ces violences, le gouvernement n’a pas hésité à frapper fort. Outre l’interdiction du parti en vertu des lois antiterroristes, les autorités ont lancé une vaste opération visant à démanteler les réseaux du TLP. Pas moins de 95 comptes bancaires liés au mouvement ont été gelés, ainsi que plusieurs propriétés. Saad Rizvi, le chef du parti, aurait fui pour échapper à une arrestation, selon des sources officielles.
Cette répression n’est pas sans précédent. En avril 2021, le TLP avait déjà été interdit après des manifestations anti-France, marquées par des violences ayant causé la mort de plusieurs policiers et civils. Cette interdiction avait toutefois été levée sept mois plus tard, montrant la difficulté pour le gouvernement de gérer ce mouvement influent.
Un Parti à l’Influence Croissante
Malgré son interdiction répétée, le TLP conserve une base de soutien significative. Aux élections générales de 2018 et 2024, le parti n’a pas réussi à remporter de sièges au niveau national, mais il a tout de même obtenu un siège à l’assemblée provinciale du Pendjab en février 2024. Ce succès, bien que limité, montre la capacité du TLP à mobiliser une partie de la population autour de causes sensibles comme le blasphème.
Le parti a également su exploiter les tensions sociales et religieuses pour renforcer son influence. Ses appels à l’expulsion d’ambassadeurs occidentaux ou à des actions contre les non-musulmans ont souvent dégénéré en émeutes, ciblant notamment les minorités religieuses comme les chrétiens ou les ahmadis.
Événement | Date | Conséquences |
---|---|---|
Manifestations anti-France | Avril 2021 | Interdiction temporaire du TLP, morts de civils et policiers |
Marche anti-cessez-le-feu | Octobre 2025 | Cinq morts, interdiction définitive du TLP |
Les Racines Idéologiques du TLP
Le TLP tire sa force de son ancrage dans l’islam Barelvi, un courant qui, bien que considéré comme modéré par rapport à d’autres mouvements islamistes, reste inflexible sur la question du blasphème. Cette idéologie a permis au parti de transformer des revendications religieuses en un mouvement politique capable de paralyser des villes entières.
L’exécution de Mumtaz Qadri en 2016 a été un tournant. Pour beaucoup de Pakistanais, Qadri était un défenseur de l’islam, et son exécution a galvanisé le TLP, alors dirigé par Khadim Hussain Rizvi. Ce dernier a su canaliser la colère populaire pour faire du TLP une force incontournable, capable de mobiliser des foules dans un pays où la religion joue un rôle central.
« Le TLP a transformé une cause religieuse en un outil politique, exploitant les frustrations des classes populaires. »
Observateurs locaux
Les Défis pour le Gouvernement
L’interdiction du TLP pose un dilemme pour le gouvernement de Shehbaz Sharif. D’un côté, il doit montrer sa fermeté face à un mouvement accusé de terrorisme et de violences. De l’autre, réprimer un parti aussi populaire risque d’attiser les tensions dans un pays déjà fracturé par des divisions religieuses et sociales.
Les mesures prises, comme le gel des comptes bancaires et la traque de Saad Rizvi, montrent une volonté de démanteler l’organisation. Mais l’histoire récente suggère que de telles interdictions pourraient être temporaires. En 2021, la levée de l’interdiction du TLP avait été perçue comme une capitulation face à la pression populaire. Le gouvernement parviendra-t-il cette fois à maintenir sa position ?
Les Implications à Long Terme
L’interdiction du TLP soulève des questions cruciales sur l’avenir de la politique pakistanaise. Voici quelques points à considérer :
- Stabilité sociale : Les manifestations du TLP ont souvent exacerbé les tensions avec les minorités religieuses, menaçant la cohésion sociale.
- Politique religieuse : Le succès du TLP montre l’influence croissante des mouvements religieux dans un pays où la religion est un enjeu politique majeur.
- Sécurité nationale : Les violences liées au TLP posent un défi aux forces de l’ordre, déjà confrontées à d’autres menaces terroristes.
En interdisant le TLP, le Pakistan tente de reprendre le contrôle face à un mouvement qui, depuis près d’une décennie, a su exploiter les sensibilités religieuses pour gagner en influence. Mais cette décision pourrait avoir un effet boomerang, renforçant le sentiment de persécution parmi les partisans du parti.
Un Équilibre Précaire
Le Pakistan se trouve à un carrefour. D’un côté, le gouvernement doit protéger l’ordre public et lutter contre les violences. De l’autre, il doit naviguer dans un paysage politique où les questions religieuses sont explosives. Le TLP, même interdit, reste un symbole pour une partie de la population, et son influence ne disparaîtra pas du jour au lendemain.
Alors que Saad Rizvi reste dans la clandestinité, l’avenir du TLP reste incertain. Le parti parviendra-t-il à se réorganiser sous une nouvelle forme ? Le gouvernement réussira-t-il à apaiser les tensions sans céder aux pressions ? Une chose est sûre : cette crise est loin d’être terminée, et ses répercussions pourraient redéfinir la politique pakistanaise pour les années à venir.