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Paetongtarn Shinawatra Démissionne : Fin d’Ère?

Paetongtarn Shinawatra démissionne de Pheu Thai après sa destitution. Une stratégie pour sauver le parti ou un aveu d'impuissance face à l'establishment ? Les Shinawatra gardent-ils vraiment le contrôle en coulisses ? La réponse risque de vous surprendre...

Et si une simple conversation téléphonique pouvait faire vaciller une dynastie politique entière ? C’est exactement ce qui vient d’arriver à Paetongtarn Shinawatra, l’ex-Première ministre thaïlandaise destituée il y a à peine deux mois. Mercredi, elle a annoncé sa démission de la présidence du Pheu Thai, le parti fondé par son père Thaksin. Une décision qui soulève autant de questions qu’elle n’apporte de réponses sur l’avenir de cette famille qui domine la politique thaïlandaise depuis plus de vingt ans.

Une Démission qui Fait Trembler Bangkok

La nouvelle est tombée comme un coup de tonnerre dans les couloirs du pouvoir thaïlandais. Paetongtarn Shinawatra, 39 ans, fille de l’emblématique Thaksin Shinawatra, a officiellement remis sa démission de la présidence du Pheu Thai. Dans un communiqué laconique mais chargé de sous-entendus, elle explique que cette décision permettra au parti de « se moderniser » pour enfin remporter les prochaines élections. Une justification qui laisse perplexe quand on connaît la réalité du pouvoir au sein de cette formation politique.

Car derrière les mots policés, c’est toute une stratégie de survie qui se dessine. Le Pheu Thai, héritier direct des partis créés par Thaksin dans les années 2000, traverse une zone de turbulences sans précédent. Entre les poursuites judiciaires qui s’accumèrent et la pression constante de l’establishment conservateur, la démission de Paetongtarn apparaît comme une manœuvre désespérée pour protéger l’organisation d’une dissolution pure et simple.

Le Scandale Téléphonique qui a Tout Déclenché

Remontons au début de cette affaire qui sent le soufre. Tout commence en juin dernier avec un appel téléphonique entre Paetongtarn Shinawatra, alors Première ministre, et Hun Sen, l’ancien homme fort du Cambodge. Une conversation banale en apparence, mais qui va rapidement prendre des proportions dramatiques lorsqu’elle est divulguée en ligne. Les opposants y voient immédiatement une trahison : la cheffe du gouvernement thaïlandais n’aurait pas suffisamment défendu les intérêts de son pays face au dirigeant cambodgien.

La polémique enfle. Les réseaux sociaux s’emballent. Et en juillet, Paetongtarn est suspendue de ses fonctions par la Cour constitutionnelle. Un mois plus tard, le verdict tombe : destitution définitive. Les neuf juges estiment qu’elle a manqué aux « normes éthiques » requises pour une Première ministre. Un jugement qui fait d’elle la troisième Shinawatra à être éjectée du pouvoir, après son père Thaksin en 2006 et sa tante Yingluck en 2014.

« Ma démission permettra au parti de se moderniser afin que nous puissions finalement remporter les élections. »

Paetongtarn Shinawatra, dans son communiqué officiel

Cette citation, soigneusement choisie, mérite qu’on s’y arrête. Derrière l’apparente noblesse du sacrifice, se cache une réalité plus prosaïque : en quittant la présidence, Paetongtarn espère couper l’herbe sous le pied des juges qui pourraient dissoudre le Pheu Thai pour « manquement éthique » de sa dirigeante. Une stratégie déjà vue par le passé avec d’autres formations politiques thaïlandaises.

La Dynastie Shinawatra : Trois Générations, Trois Destitutions

Pour comprendre l’ampleur du séisme politique actuel, il faut remonter à l’origine de cette saga familiale. Tout commence avec Thaksin Shinawatra, ancien policier reconverti en magnat des télécommunications. En 1998, il fonde le Thai Rak Thai, ancêtre du Pheu Thai actuel. Élu triomphalement en 2001, il incarne alors l’espoir d’une Thaïlande moderne et prospère pour les classes populaires.

Mais son style autoritaire et ses réformes trop audacieuses pour l’élite traditionnelle lui valent une hostilité farouche. En 2006, un coup d’État militaire le chasse du pouvoir. Commence alors une longue période d’exil, ponctuée de retours spectaculaires et de condamnations par contumace. Aujourd’hui âgé de 76 ans, le patriarche croupit en prison depuis le 9 septembre, condamné à huit ans pour corruption et abus de pouvoir.

Sa sœur cadette, Yingluck Shinawatra, prend le relais en 2011. Élue avec une majorité écrasante, elle devient la première femme Première ministre de Thaïlande. Mais son mandat est écourté en 2014 par un nouveau coup d’État. Accusée de négligence dans un programme de subventions aux riziculteurs, elle est condamnée à cinq ans de prison et s’exile à son tour.

Chronologie d’une dynastie maudite :
  • 2001 : Thaksin Shinawatra élu Premier ministre
  • 2006 : Coup d’État militaire, exil de Thaksin
  • 2011 : Yingluck Shinawatra devient Première ministre
  • 2014 : Nouveau coup d’État, destitution de Yingluck
  • 2024 : Paetongtarn Shinawatra destituée par la Cour
  • 2025 : Démission de Paetongtarn de la présidence Pheu Thai

Paetongtarn représente donc la troisième génération. Formée à l’étranger, moderne, connectée, elle incarnait l’espoir d’une relève capable de briser la malédiction familiale. Raté. Sa destitution en août 2024 et sa démission actuelle marquent un nouveau chapitre douloureux dans cette tragicomédie politique.

Pheu Thai : Un Parti en Survie

Mais qu’est-ce que le Pheu Thai sans un Shinawatra à sa tête ? C’est la question que tout le monde se pose à Bangkok. Officiellement, Paetongtarn assure qu’elle reste membre du parti et continuera à « travailler dur pour la Thaïlande ». Une formule creuse qui ne trompe personne. Car dans les faits, le Pheu Thai a toujours été une machine électorale au service de la famille Shinawatra.

Créé en 2007 après la dissolution du Thai Rak Thai, le parti a survécu à de multiples coups durs : dissolutions judiciaires, coups d’État, exils de ses leaders. À chaque fois, il renaît de ses cendilles sous un nouveau nom mais avec la même base idéologique : populisme rural, réformes sociales, défi à l’establishment. Et à chaque fois, un Shinawatra ou un proche de la famille en prend la tête.

Aujourd’hui, la situation est critique. Avec Thaksin en prison, Yingluck en exil et Paetongtarn écartée de la présidence, le parti risque l’implosion. Les cadres historiques sont vieillissants, la nouvelle génération manque d’expérience, et les électeurs commencent à douter. La « modernisation » promise par Paetongtarn ressemble furieusement à un aveu d’échec.

Les Coulisses du Pouvoir : Qui Tient Vraiment les Rênes ?

Yuttaporn Issarachai, politologue à l’université Sukhothai Thammathirat, ne mâche pas ses mots : « Peu importe qui préside le Pheu Thai, il sera toujours dirigé par la famille en coulisses ». Une analyse partagée par de nombreux observateurs. Car si Paetongtarn quitte officiellement la scène, rien n’indique que les Shinawatra lâchent prise.

Thaksin, même derrière les barreaux, conserve une influence considérable. Ses avocats négocient, ses fidèles manœuvrent, ses réseaux fonctionnent à plein régime. Paetongtarn, en restant simple membre du parti, se positionne comme une conseillère de l’ombre, prête à revenir dès que l’orage judiciaire sera passé. Une stratégie rodée depuis vingt ans.

« Cette démission vise principalement à protéger le parti contre des poursuites judiciaires. »

Yuttaporn Issarachai, politologue

Cette lecture cynique des événements est difficile à contester. En Thaïlande, la justice est souvent utilisée comme arme politique. Les partis pro-Shinawatra ont été dissous à plusieurs reprises pour des motifs que d’autres formations au pouvoir n’auraient jamais à craindre. La démission de Paetongtarn apparaît donc comme un sacrifice calculé pour sauver le soldat Pheu Thai.

L’Establishment Conservateur : Toujours aux Commandes

Face à la famille Shinawatra, un adversaire de taille : l’establishment conservateur. Ce réseau informel regroupe l’armée, la monarchie, la haute bureaucratie et les élites économiques de Bangkok. Depuis les années 2000, il considère Thaksin et les siens comme une menace existentielle pour l’ordre traditionnel.

Les coups d’État de 2006 et 2014 n’étaient que la partie visible de l’iceberg. En coulisses, la guerre est permanente : manifestations orchestrées, médias acquis à la cause, juges complaisants, lois électorales taillées sur mesure. La destitution de Paetongtarn s’inscrit dans cette longue tradition de neutralisation judiciaire des leaders populistes.

Mais l’establishment paie aussi le prix de cette guerre sans fin. La société thaïlandaise est plus divisée que jamais entre « chemises rouges » (pro-Shinawatra) et « chemises jaunes » (pro-royalistes). Les jeunes générations, éduquées et connectées, rejettent de plus en plus ce système figé. Les élections de 2023 l’ont montré avec la percée du parti progressiste Move Forward.

Et Maintenant ? Les Scénarios Possibles

La démission de Paetongtarn ouvre une période d’incertitude. Plusieurs scénarios sont envisageables pour le Pheu Thai :

  • Un nouveau leader charismatique émerge et redynamise le parti
  • Le Pheu Thai implose et ses électeurs se dispersent vers d’autres formations
  • Les Shinawatra conservent le contrôle via des prête-noms
  • Une dissolution judiciaire met fin définitivement à l’aventure

Le plus probable reste la troisième option. La famille Shinawatra a survécu à pire. Thaksin, depuis sa cellule, continue probablement à dicter la ligne. Paetongtarn, libérée des contraintes de la présidence, peut se concentrer sur la communication et les réseaux sociaux. Et dans quelques mois, quand l’attention sera retombée, un nouveau chapitre s’ouvrira.

Mais pour l’instant, c’est l’heure du bilan. Trois Shinawatra, trois destins brisés par le système. Une dynastie qui a révolutionné la politique thaïlandaise mais n’a jamais pu s’imposer durablement. Une leçon d’humilité pour ceux qui croient pouvoir défier l’ordre établi dans le Royaume du Siam.

La malédiction des Shinawatra continuera-t-elle ?

Une famille, trois générations, trois chutes spectaculaires. La politique thaïlandaise reste un jeu dangereux où les règles sont écrites par les vainqueurs d’hier.

En attendant, Paetongtarn Shinawatra peut se consoler d’une chose : elle reste jeune, populaire auprès d’une partie de l’électorat, et membre d’une famille qui a prouvé sa résilience. La politique thaïlandaise est un marathon, pas un sprint. Et les Shinawatra ont montré qu’ils savaient courir sur de très longues distances, même avec des boulets aux pieds.

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