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Orpaillage Illégal en Guyane : Un Plafond de Verre Infranchissable

En Guyane, 8 000 orpailleurs clandestins défient l’État français malgré 280 gendarmes mobilisés. 6 tonnes d’or illégal prévu en 2025, contre 1 tonne légale… Mais le vrai problème n’est pas en forêt. La clé se trouve ailleurs, à quelques kilomètres de là. Découvrez où.

Imaginez une forêt primaire millénaire transformée en paysage lunaire, des rivières autrefois cristallines devenant laiteuses et toxiques, des communautés entières empoisonnées sans même le savoir. Ce n’est pas un scénario catastrophe fictif. C’est le quotidien de la Guyane française en 2025.

Un plafond de verre que l’État ne parvient plus à briser

Les autorités l’admettent elles-mêmes : malgré des moyens humains et matériels considérables, la lutte contre l’orpaillage illégal a atteint ses limites. Le général commandant la gendarmerie en Guyane parle ouvertement d’un « plafond de verre » infranchissable avec les effectifs actuels.

Cette expression, rarement employée dans un contexte militaire, traduit une réalité brutale : on peut intensifier les opérations, multiplier les saisies, détruire des centaines de sites, mais la pression ne faiblit pas. Elle s’adapte, se disperse, et parfois même s’amplifie.

Des chiffres qui donnent le vertige

En 2024, l’opération Harpie a mobilisé 280 gendarmes et militaires. Résultat ? 1,4 tonne d’or saisie. Un record. Pourtant, les estimations pour 2025 font froid dans le dos : près de six tonnes d’or extrait illégalement, contre seulement une tonne produite légalement.

Derrière ces chiffres se cachent 8 000 chercheurs d’or clandestins répartis sur 591 sites à travers la forêt. Un véritable réseau organisé qui fonctionne comme une entreprise parallèle, avec ses logisticiens, ses financiers et ses points de vente.

Chaque année en Guyane :
• 150 hectares de forêt primaire détruits
• 100 kilomètres de cours d’eau pollués
• Depuis 2003 : plus de 3 600 km de rivières irrémédiablement dégradés

Quand l’or devient plus rentable que jamais

Le cours de l’or a littéralement explosé ces dernières années. Passé de 35 euros le gramme en 2017 à 115 euros en 2025, il a plus que triplé. Conséquence directe : des gisements autrefois non rentables le deviennent soudainement.

Un site qui nécessitait des semaines de travail pour quelques grammes peut désormais rapporter plusieurs milliers d’euros en quelques jours. Cette rentabilité nouvelle attire une main-d’œuvre toujours plus nombreuse, venue du Brésil, du Suriname, mais aussi de plus loin.

« Avec l’augmentation du cours de l’or, le nombre de sites plus rentables est en forte hausse »

Le préfet de Guyane, lors du bilan annuel

La nouvelle stratégie : suivre l’argent plutôt que les pioches

Face à cette pression diffuse, les autorités changent de paradigme. Fini le temps où l’on détruisait systématiquement les moyens de production en pleine forêt. Aujourd’hui, l’objectif est de couper les flux logistiques.

Car un campement d’orpailleurs clandestins, aussi isolé soit-il, a besoin de carburant, de vivres, de pièces détachées, de mercure. Tout cela transite par des pistes, des rivières, des comptoirs bien identifiés. C’est là que se concentre désormais l’effort.

Mais pour être pleinement efficace, cette stratégie nécessite une coopération internationale qui fait cruellement défaut.

Le rôle central du Suriname voisin

La frontière entre la Guyane et le Suriname s’étend sur 520 kilomètres de forêt et de fleuves. Une frontière théorique, en réalité parfaitement poreuse. Et c’est là que se joue l’essentiel du trafic.

Les comptoirs d’achat d’or fleurissent le long du fleuve Maroni, côté surinamien. Selon les estimations, 80 % de l’or extrait illégalement en Guyane y est revendu. Les orpailleurs traversent la rivière en pirogue, vendent leur production, repartent avec carburant et provisions.

« La clef de l’orpaillage illégal n’est pas à Cayenne, elle est à Paramaribo et dans une moindre mesure à Brasilia »

Le préfet de Guyane

Cette déclaration sans détour résume à elle seule l’impuissance relative des autorités françaises. On peut multiplier les hélicoptères et les patrouilles fluviales, tant que la base arrière reste intouchable, le système perdure.

Le mercure, ce poison invisible qui tue à petit feu

Au-delà de la déforestation, l’orpaillage illégal laisse une autre empreinte bien plus insidieuse : la contamination au mercure. Ce métal lourd est utilisé pour amalgamer l’or fin dans les sédiments. Une partie finit inévitablement dans les rivières.

Les populations vivant le long du fleuve Maroni, notamment les communautés amérindiennes et bushinengué, se retrouvent en première ligne. Poissons contaminés, eau polluée, chaîne alimentaire entière touchée. Les conséquences sanitaires sont dramatiques.

Troubles neurologiques, malformations congénitales, problèmes rénaux… les cas se multiplient. Et pourtant, ces populations n’ont souvent pas d’autre source de protéines que le poisson pêché localement.

Conséquences sanitaires du mercure Populations les plus exposées
Tremblements, pertes de mémoire, troubles visuels Enfants et femmes enceintes
Atteintes rénales graves Consommateurs réguliers de poisson contaminé
Retards de développement chez l’enfant Communautés riveraines du Maroni

Et demain ?

La situation actuelle pose une question fondamentale : jusqu’où peut-on aller avec une approche purement répressive ? Le cours de l’or ne redescendra pas demain. Les frontières resteront poreuses tant qu’il n’y aura pas d’accord fort avec le Suriname.

Certains commencent à parler de solutions alternatives : développement de filières légales attractives, programmes de reconversion pour les orpailleurs, renforcement des contrôles sur les flux financiers internationaux de l’or. Des pistes longues et complexes, mais peut-être les seules viables à long terme.

En attendant, la forêt guyanaise continue de payer le prix fort d’une ruée vers l’or qui, loin de s’essouffler, semble entrer dans une nouvelle ère. Plus discrète, plus organisée, et malheureusement plus destructrice que jamais.

La Guyane, poumon vert de la France et réserve de biodiversité exceptionnelle, se retrouve au cœur d’un dilemme tragique : protéger son territoire ou accepter de devenir, malgré elle, l’un des plus grands producteurs d’or illégal au monde.

La réponse ne viendra peut-être pas de Cayenne. Elle viendra sans doute de Paramaribo, de Brasília, ou des grandes places financières où transite cet or fantôme. En attendant, chaque jour qui passe voit un peu plus de forêt disparaître et un peu plus de mercure s’infiltrer dans les veines de l’Amazonie.

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