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Ogiek du Kenya : Chassés de Leur Forêt Ancestrale

Les Ogiek, peuple autochtone du Kenya, luttent pour sauver leur forêt ancestrale. Expulsés sans préavis, leur survie est menacée. Quelle justice pour eux ?

Imaginez un matin où des hommes armés de haches surgissent dans votre maison, détruisant tout ce qui constitue votre vie, sans explication ni préavis. C’est la réalité brutale vécue par les Ogiek, l’une des dernières communautés de chasseurs-cueilleurs d’Afrique, chassée de la forêt de Mau, leur foyer ancestral. Cette forêt, poumon vert du Kenya, est bien plus qu’un simple lieu de vie pour ce peuple : elle est leur identité, leur histoire, leur moyen de subsistance. Pourtant, sous prétexte de préservation environnementale, les autorités kényanes les expulsent, laissant derrière elles des familles déracinées et un patrimoine culturel en péril.

Une Communauté en Lutte pour Sa Survie

Les Ogiek, un sous-groupe de l’ethnie kalenjin, vivent depuis des générations dans la forêt de Mau, située dans la vallée du Rift, à quelques dizaines de kilomètres de Narok. Leur mode de vie, basé sur la chasse, la cueillette et l’apiculture, est intimement lié à cet écosystème. Mais fin 2023, des centaines de membres de cette communauté ont été brutalement expulsés par des gardes-forestiers et des forces de sécurité. Sans motif clair ni avertissement, leurs maisons ont été réduites à des tas de débris, comme en témoigne Fred Ngusilo, un militant des droits humains de 38 ans, qui ne retrouve qu’un sac et une chaussure parmi les restes de sa maison familiale.

« Quand je viens ici, je suis tellement triste. J’en ai les larmes aux yeux », confie Fred Ngusilo, face aux ruines de sa maison.

Ce n’est pas la première fois que les Ogiek subissent de telles injustices. Depuis des décennies, ils font face à des expulsions répétées, souvent justifiées par les autorités au nom de la conservation environnementale. Pourtant, ce peuple a toujours vécu en harmonie avec la forêt, préservant sa biodiversité bien avant que le terme ne devienne un mot à la mode.

Une Forêt Vitale, un Peuple Ignoré

La forêt de Mau, la plus grande du Kenya, est un château d’eau essentiel, alimentant en eau des millions de Kényans. Elle abrite une biodiversité exceptionnelle et joue un rôle clé dans l’équilibre écologique du pays. Mais pour les Ogiek, elle représente bien plus : c’est leur maison, leur source de nourriture, leur pharmacie naturelle et leur lieu de culte. Leur savoir ancestral leur a permis de coexister avec cet écosystème sans le détruire, contrairement aux accusations portées contre eux.

Pourtant, les autorités kényanes persistent à les chasser, arguant que leur présence menace la forêt. Cet argument est contesté non seulement par les Ogiek, mais aussi par des décisions judiciaires internationales. En 2017 et 2022, la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples a jugé ces évictions illégales, ordonnant au gouvernement de Nairobi de verser des réparations de plus d’un million d’euros et de reconnaître officiellement les droits des Ogiek sur leurs terres ancestrales. À ce jour, ces décisions restent lettre morte.

Les Ogiek ne demandent pas la charité. Ils exigent simplement le droit de vivre là où ils ont toujours vécu, en harmonie avec la nature.

Un Quotidien Bouleversé

Pour les Ogiek, être chassés de la forêt signifie perdre bien plus qu’un toit. Leur mode de vie, basé sur l’autosuffisance, est désormais hors de portée. « Avant, c’était bien : pas de loyer, pas besoin d’acheter du bois ou de la nourriture. Maintenant, il faut tout acheter », regrette Janet Sumpet Ngusilo, une grand-mère de 87 ans. Contrainte de louer une maison à l’extérieur de la forêt, elle incarne la douleur d’une communauté déracinée, obligée de s’adapter à un monde qui ne leur ressemble pas.

Salaton Nadumwangop, 55 ans, partage cette nostalgie. Autrefois, il vivait de la chasse et du miel récolté dans ses 500 ruches. Aujourd’hui, il déplore que les jeunes générations ne connaissent plus ce mode de vie. Lors des évictions, certains Ogiek ont fui dans la précipitation, attaqués par des hyènes ou des léopards. « De nombreuses personnes sont mortes », raconte-t-il, la voix lourde de souvenirs.

« La forêt est notre vie », affirme Salaton, coiffé d’un chapeau orné de perles évoquant les abeilles.

Une Lutte pour la Justice

Face à ces injustices, les Ogiek ne restent pas passifs. Ils se battent sur deux fronts : devant les tribunaux et à travers la préservation de leur culture. L’Organisation pour le développement du peuple Ogiek (OPDP), qui représente plus de 50 000 membres, milite pour la reconnaissance de leurs droits. Parallèlement, la communauté organise des festivals culturels, véritables célébrations de leur identité. Ces événements, empreints de nostalgie, rassemblent des centaines de personnes pour danser, chanter et transmettre leur histoire aux jeunes générations.

Ces festivals sont aussi des tribunes pour réclamer justice. Lors du dernier événement, Josphat Lodeya, responsable d’une unité gouvernementale dédiée aux minorités, a promis l’application des verdicts de la Cour africaine. Mais sans calendrier précis, ces promesses sonnent creux pour les Ogiek, qui se sentent marginalisés. « Nous sommes un petit peuple. Même si nous votons, ils nous considèrent comme des moins que rien », déplore Salaton Nadumwangop.

Les Dessous des Expulsions

Derrière ces expulsions, certains Ogiek pointent du doigt des motivations économiques. La forêt de Mau, riche en ressources, attire les convoitises. Depuis les années 1980, plus de 20 % de sa superficie a disparu, victime de la déforestation et de l’exploitation du bois. Fred Ngusilo accuse les autorités de « cupidité », affirmant qu’elles profitent financièrement de la destruction de la forêt, tout en chassant ceux qui la protègent depuis des siècles.

Une autre hypothèse, plus récente, alimente les soupçons : les projets de crédit carbone. Soutenus par le président William Ruto, ces initiatives visent à monétiser la préservation des forêts pour lutter contre le changement climatique. Mais certains membres de la communauté et observateurs estiment que ces projets servent de prétexte pour justifier les expulsions de 2023. Bien que difficiles à prouver, ces allégations soulignent un paradoxe : les Ogiek, gardiens ancestraux de la forêt, sont évincés au nom d’une cause environnementale qu’ils incarnent mieux que quiconque.

Problème Impact sur les Ogiek
Expulsions forcées Perte de terres, moyens de subsistance, et identité culturelle.
Déforestation Destruction de l’écosystème dont ils dépendent.
Non-application des verdicts Absence de justice et de réparations pour les préjudices subis.

Un Avenir Incertain

Pour les Ogiek, l’avenir est teinté d’inquiétude. « Si les choses continuent ainsi, les Ogiek disparaîtront », prévient Salaton Nadumwangop. La menace n’est pas seulement physique, mais aussi culturelle. Privés de leur forêt, les jeunes générations risquent de perdre le lien avec leurs traditions, leur langue et leur savoir-faire. Pourtant, la résilience de ce peuple est remarquable. Fred Ngusilo, prêt à risquer sa vie pour retourner chez lui, incarne cet esprit de résistance.

Le combat des Ogiek dépasse leur communauté. Il soulève des questions universelles sur les droits des peuples autochtones, la justice environnementale et la véritable signification de la préservation écologique. Comment peut-on protéger une forêt en chassant ceux qui l’ont protégée pendant des siècles ? Pourquoi les décisions judiciaires internationales restent-elles ignorées ? Ces interrogations résonnent bien au-delà des frontières du Kenya.

En attendant des réponses, les Ogiek continuent de se battre, avec dignité et détermination. Leurs festivals culturels, leurs plaidoyers devant les tribunaux et leur attachement indéfectible à la forêt de Mau sont autant de témoignages de leur résilience. Mais sans une action concrète des autorités, ce peuple risque de devenir une simple note de bas de page dans l’histoire d’une forêt qu’ils ont aimé et protégé toute leur vie.

Les Ogiek nous rappellent une vérité essentielle : protéger la nature, c’est aussi protéger ceux qui vivent en harmonie avec elle.

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