Imaginez une ville surgissant de la jungle, conçue pour incarner l’avenir d’une nation, mais où seuls quelques touristes et ouvriers déambulent dans des avenues silencieuses. C’est la réalité de Nusantara, la nouvelle capitale indonésienne, un projet audacieux lancé pour remplacer Jakarta, asphyxiée par la surpopulation et menacée par la montée des eaux. Un an après son inauguration, cette ville, imaginée comme un symbole de modernité, semble hésiter entre grandeur et abandon. Quels obstacles freinent ce rêve ambitieux, et peut-il encore se réaliser ?
Nusantara : Une Vision à l’Épreuve du Temps
Sur l’île de Bornéo, loin du tumulte de Jakarta, Nusantara devait incarner une nouvelle ère pour l’Indonésie. Initié sous la présidence de Joko Widodo, ce projet pharaonique visait à créer une capitale moderne, durable et capable d’accueillir jusqu’à 2 millions d’habitants d’ici 2045. Pourtant, aujourd’hui, seuls 1 000 employés municipaux et quelques fonctionnaires y résident. Les avenues flambant neuves et le palais présidentiel, inspiré de l’oiseau mythique Garuda, restent étrangement calmes, comme figés dans une attente incertaine.
Le contraste est saisissant. Alors que Jakarta, avec ses 12 millions d’habitants, croule sous les défis urbains, Nusantara peine à attirer ses premiers résidents. Les raisons de ce ralentissement sont multiples : manque de financement, priorités politiques changeantes et une réticence marquée à quitter la capitale actuelle. Mais comment un projet aussi ambitieux a-t-il pu perdre son élan si rapidement ?
Un Héritage Politique en Question
Lancé par Joko Widodo, surnommé Jokowi, le projet de Nusantara était censé soulager Jakarta, confrontée à des problèmes d’engorgement et de submersion progressive. Sous son mandat, les travaux avançaient à un rythme soutenu, avec des investissements massifs pour poser les bases de cette ville futuriste. Mais depuis l’arrivée au pouvoir de Prabowo Subianto en octobre 2024, l’élan s’est essoufflé.
Prabowo estime que ce n’est pas son héritage. Ce n’est pas son principal objectif.
Un responsable impliqué dans la construction, sous couvert d’anonymat
Le nouveau président semble privilégier des projets sociaux, comme des programmes d’aide alimentaire pour les écoliers, au détriment de Nusantara. Lors de son premier discours sur l’état de la nation, il n’a mentionné la nouvelle capitale qu’une seule fois, signe d’un désintérêt apparent. Ce manque de volonté politique inquiète les observateurs, qui craignent que le projet ne devienne un “éléphant blanc”, un investissement coûteux mais inutilisé.
Des Contraintes Budgétaires Étouffantes
Le financement est un autre obstacle majeur. En 2024, le budget alloué à Nusantara s’élevait à 2,2 milliards d’euros, un montant déjà ambitieux. Pour 2026, les responsables du projet espéraient obtenir plus de 1,1 million d’euros, mais ils devront se contenter de 327 000 euros, une réduction drastique. Cette baisse reflète les priorités changeantes du gouvernement, mais aussi les difficultés à attirer des investisseurs étrangers.
| Année | Budget alloué (en euros) |
|---|---|
| 2024 | 2,2 milliards |
| 2026 (prévision initiale) | 1,1 million |
| 2026 (budget réel) | 327 000 |
Ces chiffres parlent d’eux-mêmes : sans un soutien financier robuste, les ambitions de Nusantara risquent de rester lettre morte. Les investisseurs étrangers, essentiels pour compenser les fonds publics limités, hésitent face à l’incertitude politique et à l’absence de résultats concrets.
Un Chantier Inachevé
Sur le terrain, les progrès sont lents. Seuls 800 des 6 600 hectares prévus pour les bâtiments gouvernementaux ont été développés ou préparés. Le palais présidentiel et quelques ministères sont presque terminés, à 97-98 % selon les responsables locaux, mais le reste de la ville reste en friche. Les infrastructures essentielles, comme l’aéroport, attendent encore l’autorisation pour des vols commerciaux, tandis qu’un centre commercial et un cinéma sont toujours en projet.
Pourtant, certains restent optimistes. Basuki Hadimuljono, responsable de l’administration locale, affirme que le déménagement pourrait avoir lieu dès 2028, avant la prochaine élection présidentielle. Mais sans décret présidentiel officialisant le transfert de la capitale, cet objectif semble ambitieux.
Une Ville en Quête d’Habitants
Pour les rares résidents de Nusantara, la vie dans cette ville naissante est un mélange de promesses et de défis. Helena, une employée locale, vante le “niveau de confort incroyable” de son immeuble en construction. Mais pour beaucoup, quitter Jakarta, située à plus de 1 000 kilomètres, pour une ville encore inachevée est peu attrayant. Les fonctionnaires, en particulier, rechignent à s’installer dans un lieu où les commodités de base, comme des écoles ou des centres de loisirs, restent limitées.
Quelques chiffres illustrent l’ampleur du défi :
- Population actuelle : environ 1 000 employés municipaux et quelques fonctionnaires.
- Objectif 2045 : 2 millions d’habitants.
- Jakarta : 12 millions d’habitants, surpeuplée et vulnérable aux inondations.
Ces écarts montrent à quel point le chemin est encore long. Sans une accélération des travaux et un engagement politique clair, Nusantara risque de rester une coquille vide.
Un Tourisme Naissant, mais Insuffisant
Si les résidents se font rares, les touristes, eux, commencent à affluer. Le palais présidentiel, avec son architecture spectaculaire inspirée du Garuda, est une attraction phare pour les visiteurs comme Ronald Telaumbanua, 38 ans, venu des Célèbes. “Je suis heureux et fier, c’est vraiment super”, confie-t-il, émerveillé par le site. Mais ce tourisme naissant ne suffit pas à compenser le manque d’activité économique.
Sous Jokowi, il y avait de nombreux travailleurs et beaucoup de visites. Mes revenus ont ensuite chuté de presque 60 %.
Abduh Rajab, vendeur de snacks à Nusantara
Les commerçants locaux, qui espéraient profiter d’un boom économique, peinent à joindre les deux bouts. Cette baisse d’activité reflète l’incertitude qui plane sur le projet, alors que les espoirs d’une ville dynamique s’éloignent.
Un Équilibre Délicat entre Ambition et Réalité
Nusantara incarne un paradoxe : une vision audacieuse freinée par des contraintes pratiques. D’un côté, la ville symbolise l’espoir d’un avenir urbain durable, loin des problèmes de Jakarta. De l’autre, elle souffre d’un manque de soutien politique, de financements insuffisants et d’une infrastructure encore embryonnaire. Pour Dedi Dinarto, analyste politique, le projet risque de stagner tant que Prabowo se concentrera sur ses priorités sociales.
Pourtant, tout n’est pas perdu. Avec un engagement renouvelé, des investissements étrangers et une communication efficace auprès des fonctionnaires, Nusantara pourrait encore tenir ses promesses. Mais le temps presse : sans un élan significatif d’ici 2028, le rêve d’une nouvelle capitale pourrait s’évanouir, laissant derrière lui un symbole d’ambition inachevée.
Quel Avenir pour Nusantara ?
Alors que Nusantara lutte pour prendre forme, une question demeure : ce projet peut-il surmonter ses obstacles pour devenir la capitale moderne et durable envisagée ? Les défis sont nombreux, mais l’histoire des grandes entreprises urbaines montre que la persévérance peut transformer les rêves en réalité. Pour l’instant, Nusantara reste un chantier à l’avenir incertain, suspendu entre l’espoir d’un renouveau national et le risque d’un échec retentissant.
Pour les Indonésiens, ce projet est plus qu’une simple ville : c’est une vision de l’avenir. Mais sans un engagement fort, cette vision pourrait n’être qu’un mirage dans la jungle de Bornéo. L’histoire de Nusantara est loin d’être terminée, mais son prochain chapitre dépendra des choix faits aujourd’hui.
