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Nouveaux billets au Soudan : une arme économique qui divise

Au Soudan, l'introduction controversée de nouveaux billets de banque par le gouvernement en guerre contre les paramilitaires des FSR paralyse le commerce, creuse les divisions et fait souffrir une population civile déjà menacée par la famine. Une arme économique aux lourdes conséquences pour...

En pleine guerre civile opposant l’armée nationale aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), le gouvernement soudanais a récemment introduit de nouveaux billets de banque dans les zones sous son contrôle. Une décision lourde de conséquences qui perturbe le commerce, paralyse les transports et aggrave les divisions dans un pays déjà ravagé par les combats et la famine.

Une mesure qui divise plus qu’elle ne rassemble

Officiellement, le remplacement des anciens billets de 500 et 1000 livres soudanaises dans sept régions aux mains de l’armée vise à « protéger l’économie et combattre la criminalité ». Mais pour de nombreux Soudanais, cette réforme monétaire fait plus de mal que de bien. À Port-Soudan, capitale provisoire du pays, l’incapacité des banques à fournir les nouveaux billets en quantité suffisante a déclenché des manifestations devant les bâtiments gouvernementaux.

Je vais à la banque quatre ou cinq fois par semaine mais il n’y en a pas

– Une Soudanaise de 37 ans

Désormais, les petits commerçants, vendeurs ambulants, chauffeurs de rickshaws et stations-service refusent les anciens billets, paralysant ainsi le commerce et les transports. « Impossible d’acheter de petites choses auprès des vendeurs ambulants », déplore une habitante.

Une économie à genoux, une devise en chute libre

Après 21 mois d’un conflit qui a laissé l’économie en lambeaux, décimé les infrastructures et poussé la moitié de la population au bord de la famine, la livre soudanaise a vu sa valeur divisée par cinq. Avant la guerre, un dollar s’échangeait contre 500 livres. Aujourd’hui, il en faut 2500 au marché noir.

Une manœuvre pour affaiblir l’adversaire

Si le ministre des Finances Jibril Ibrahim affirme vouloir « faire entrer l’argent dans le système bancaire » et « prévenir la contrefaçon », des experts y voient plutôt une manœuvre de l’armée pour affaiblir les FSR, qui ont pillé des banques, en les privant de ressources et en cherchant à contrôler les flux financiers.

L’armée veut une monnaie plus dominante pour affaiblir les FSR et contrôler les flux financiers

– Matthew Sterling Benson, London School of Economics and Political Science

Selon l’analyste soudanais Hamid Khalafalla, l’armée cherche aussi par ce biais à accroître son trésor de guerre pour financer le conflit, payer ses soldats et acquérir des armes, dans une économie essentiellement informelle.

Vers une scission du pays ?

De leur côté, les FSR, qui envisagent de créer leur propre monnaie, ont interdit l’utilisation des nouveaux billets dans les zones sous leur contrôle, à l’ouest, au centre et au sud du pays. Elles accusent l’armée de « comploter pour diviser le Soudan ». Pour Kholood Khair, du groupe de réflexion Confluence Advisory, cette réforme monétaire « catalyse la marche vers une scission » dans un pays déjà fragmenté.

Les civils, premières victimes

Pendant ce temps, les civils subissent de plein fouet les conséquences de cette décision qui perturbe les chaînes d’approvisionnement et aggrave leurs souffrances. Sans liquidités, impossible d’acheter des produits de première nécessité dans une économie reposant quasi-exclusivement sur les transactions en espèces.

Cela crée une situation critique pour une population menacée par la famine

– Matthew Sterling Benson

Selon un récent rapport des agences de l’ONU, la famine frappe déjà cinq régions du Soudan et devrait s’étendre d’ici mai à cinq districts du Darfour et certaines parties des monts Nouba. Dans les zones contrôlées par les FSR, les habitants risquent de devenir encore plus isolés économiquement.

Avec cette arme monétaire, l’armée et les paramilitaires cherchent à « marquer des points » en provoquant une crise de gouvernance chez l’adversaire, estime Kholood Khair. L’armée prive la population de monnaie et de services dans les zones FSR dans l’espoir qu’elle se retourne contre eux. En réponse, les FSR envisagent leur propre devise. Une guerre économique dont les civils sont les grands perdants.

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