Dans un coin reculé de la côte kényane, où les plages paradisiaques cèdent la place à une végétation aride, un nouveau drame vient ébranler le pays. À Binzaro, un village isolé, 34 corps ont été récemment exhumés d’un terrain vague, ravivant le spectre d’une secte mortifère qui, deux ans plus tôt, avait déjà semé l’horreur dans la forêt de Shakahola. Ce massacre, qui rappelle les atrocités d’un mouvement religieux extrême, pose une question glaçante : comment une telle tragédie peut-elle se reproduire dans un pays où la foi chrétienne est omniprésente ?
Retour sur un cauchemar national
En 2023, la découverte macabre de 450 corps dans la forêt de Shakahola avait choqué le Kenya. Les victimes, adeptes d’une secte dirigée par Paul Nthenge Mackenzie, un ancien chauffeur de taxi devenu pasteur autoproclamé, auraient été poussées à jeûner jusqu’à la mort pour « rencontrer Jésus » avant une prétendue fin du monde. Ce drame, survenu dans une région touristique prisée pour ses plages de sable blanc, a révélé une face sombre du Kenya, où la pauvreté et l’absence de régulation des cultes religieux laissent le champ libre à des dérives mortelles.
À Binzaro, petit hameau de 140 foyers sans eau courante, l’histoire semble se répéter. En juillet, un fidèle échappé de la secte a alerté les autorités, décrivant un lieu où plusieurs de ses proches, dont ses enfants, auraient péri. Les fouilles qui ont suivi ont mis au jour 34 cadavres et 102 fragments de corps, souvent dans un état de décomposition avancé, témoignant de l’horreur qui se déroulait à seulement 30 kilomètres du premier massacre.
Une secte insaisissable aux méthodes évolutives
Contrairement au massacre de Shakahola, où les corps étaient entassés dans des fosses communes, les victimes de Binzaro ont été inhumées individuellement, sous une fine couche de terre recouverte de branchages. Cette méthode, plus discrète, semble indiquer une adaptation stratégique de la secte pour dissimuler ses crimes. Victor Kaudo, militant local des droits humains, raconte avec effroi : « Il y a tellement, tellement de tombes. »
Les restes dispersés, souvent attaqués par des hyènes, compliquent l’identification des victimes.
Un avocat impliqué dans l’affaire, souhaitant rester anonyme, souligne que les responsables de Binzaro ont appris des erreurs de Shakahola. « Ils ont observé le premier procès et se sont adaptés »,
explique-t-il, pointant du doigt les nouvelles techniques d’inhumation destinées à brouiller les pistes. Cette évolution tactique rend la traque de la secte d’autant plus complexe pour les autorités kényanes.
Les visages derrière le massacre
Onze personnes ont été arrêtées en lien avec les événements de Binzaro, dont plusieurs anciens membres de la secte de Shakahola. Parmi elles, Sharleen Temba Anido, considérée comme l’instigatrice présumée de ce second massacre. Selon des documents judiciaires, son mari serait mort en raison de ses croyances religieuses extrêmes. Présentée devant le tribunal de Malindi, ville touristique de la côte, Anido est restée impassible face aux accusations de meurtre, radicalisation et crime organisé.
Les enquêteurs soupçonnent que la secte opérait depuis une base à Malindi, transportant ses fidèles en moto, sous le couvert de la nuit, jusqu’à Binzaro. « Ils arrivaient par petits groupes, mais ceux qui entraient ne ressortaient pas »,
confie Robert Kiinge, officier de la direction des enquêtes criminelles. Cette organisation clandestine, opérant dans l’ombre, a permis à la secte de poursuivre ses activités mortelles loin des regards.
Un terreau fertile pour les dérives sectaires
La côte kényane, derrière son image de carte postale, cache une réalité bien plus sombre. À l’intérieur des terres, la pauvreté est omniprésente, et les villages comme Binzaro, dépourvus d’infrastructures de base, offrent un terrain propice aux mouvements religieux extrêmes. Les habitants, souvent démunis, se tournent vers des figures charismatiques promettant salvation et espoir. Paul Mackenzie, puis Sharleen Anido, ont su exploiter cette vulnérabilité pour recruter des adeptes prêts à tout, y compris à mourir.
Les terres inoccupées, vendues à bas prix par des marchands peu scrupuleux, attirent également ces groupes. « On trouve beaucoup de terrains libres ici, et personne ne pose trop de questions »,
explique un habitant de Binzaro, Simon, 32 ans, qui préfère taire son nom de famille par peur des représailles. Cette absence de contrôle territorial facilite l’installation de sectes dans des zones reculées, à l’abri des regards.
Un système judiciaire sous pression
Les fouilles à Binzaro ont été suspendues en août, officiellement en attente de nouveaux éléments. Pourtant, Victor Kaudo conteste cette version, affirmant que la morgue locale est déjà saturée. « Ils ont identifié d’autres tombes, mais ils ne peuvent pas les ouvrir »,
déplore-t-il. Cette situation illustre les défis logistiques auxquels font face les autorités, confrontées à l’ampleur des crimes et à des ressources limitées.
Le procès de Malindi, où Anido et ses coaccusés ont été maintenus en détention, est suivi de près par la population. Mais pour beaucoup, il soulève des questions sur l’efficacité du système judiciaire face à des réseaux sectaires bien organisés. Un enquêteur, sous couvert d’anonymat, évoque l’existence d’un « grand réseau » de fidèles radicalisés, toujours actifs et communicants entre eux, prêts à frapper à nouveau.
Une société face à ses failles
Le drame de Binzaro met en lumière les failles d’un pays où les églises évangéliques prolifèrent sans régulation. Dans un Kenya majoritairement chrétien, ces petites congrégations attirent des millions de fidèles, souvent séduits par des promesses de miracles. Pourtant, l’absence de contrôle strict permet à des leaders autoproclamés d’exercer une influence destructrice. Victor Kaudo pointe du doigt la responsabilité des politiques, qui hésitent à légiférer par peur de perdre le soutien électoral des communautés religieuses.
« Ils se disent : si nous réglementons l’Église, qui va voter pour nous ? »
s’indigne le militant. Cette frilosité, combinée à l’absence de programmes de déradicalisation, laisse craindre une répétition des événements. Les habitants de Binzaro, eux, vivent dans l’angoisse. « Nous avions Shakahola Un, puis Shakahola Deux. Nous aurons Shakahola Trois »,
redoute Simon, exprimant une peur partagée par beaucoup.
Vers une réponse collective ?
Face à cette menace persistante, des voix s’élèvent pour réclamer des mesures concrètes. Parmi les solutions envisagées :
- Réglementation des cultes : Instaurer un contrôle plus strict des églises évangéliques pour limiter les dérives.
- Programmes de déradicalisation : Mettre en place des initiatives pour désendoctriner les fidèles radicalisés.
- Sensibilisation communautaire : Informer les populations vulnérables sur les dangers des sectes.
- Renforcement des enquêtes : Allouer plus de ressources aux forces de l’ordre pour traquer les réseaux sectaires.
Ces mesures, si elles sont mises en œuvre, pourraient freiner l’expansion de ces groupes. Mais pour l’heure, le Kenya reste confronté à une réalité troublante : la secte de Shakahola, loin d’être éteinte, continue de semer la mort. Les habitants de Binzaro, comme ceux de tout le pays, attendent des réponses et, surtout, des actions pour éviter un nouveau drame.
Ce nouveau massacre, à seulement 30 kilomètres du premier, rappelle que la lutte contre l’extrémisme religieux est loin d’être gagnée. Dans un pays où la foi est un pilier central, la frontière entre spiritualité et manipulation reste ténue. Combien de temps encore avant que le cycle de violence ne soit brisé ?