Un projet audacieux et controversé agite le monde de l’art et du patrimoine en France. En décembre dernier, le président Emmanuel Macron a annoncé son intention de faire réaliser par concours six nouveaux vitraux contemporains pour orner les fenêtres de la cathédrale Notre-Dame de Paris, en cours de restauration suite au terrible incendie de 2019. L’idée ? Marquer de l’empreinte du 21e siècle ce monument emblématique qui traverse les âges. Mais cette proposition fait grincer bien des dents, notamment parmi les défenseurs du travail de l’architecte Viollet-le-Duc et les puristes du patrimoine historique.
Une levée de boucliers immédiate
Dès l’annonce présidentielle, une pétition en ligne initiée par le site La Tribune de l’art a recueilli en un temps record plus de 141 000 signatures. Son argument principal ? Les vitraux actuels, qui n’ont pas été endommagés lors de l’incendie, sont classés monument historique au même titre que la cathédrale elle-même. Les remplacer reviendrait donc selon les pétitionnaires à un “manque d’égard pour le code du patrimoine”.
Les vitraux n’avaient pas été touchés par l’incendie et sont classés monument historique au même titre que le monument.
– Didier Rykner, initiateur de la pétition
Pour étayer leur position, les membres de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA) se sont appuyés sur des rapports de l’inspection générale des monuments historiques et de l’historien de l’art Alexandre Gady. Ces documents se basent notamment sur la Charte de Venise qui édicte les principes en matière de conservation et de restauration des monuments. Celle-ci recommande de ne pas détruire des éléments classés monument historique pour les remplacer par des créations contemporaines.
Un soutien du gouvernement qui s’effrite
Si le ministère de la Culture, par la voix de Rachida Dati, avait dans un premier temps sélectionné cinq artistes pour ce projet de nouveaux vitraux, le récent vote défavorable (bien que consultatif) de la CNPA pourrait changer la donne. Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris et initialement favorable au projet, semble également prendre ses distances.
Le prototype des vitraux contemporains devait être dévoilé pour la réouverture très symbolique de Notre-Dame prévue le 8 décembre 2024. Mais entre le veto patrimonial et l’instabilité politique qui se profile avec un probable remaniement gouvernemental, l’horizon s’assombrit pour les vitraux du 21e siècle. Le chantier titanesque de Notre-Dame n’a sans doute pas besoin de cette polémique supplémentaire.
Notre-Dame, éternelle et intouchable ?
Au-delà de ce projet précis, cette controverse pose la question de notre rapport au patrimoine et à sa conservation. Faut-il figer nos monuments historiques dans leur état supposé d’origine ou peut-on envisager qu’ils évoluent, parfois audacieusement, avec notre époque ? Chaque génération a apporté sa pierre à l’édifice de Notre-Dame, de sa construction médiévale aux ajouts du 19e siècle. Les créations d’artistes contemporains reconnus ont-elles leur place dans cette cathédrale éternelle et universelle ? Le débat est ouvert et promet d’être passionné.