Des rues désertes, des commerces fermés, une ambiance morose : c’est le triste tableau qu’offre Bethléem à l’approche de Noël. Pour la deuxième année consécutive, la ville où est né Jésus selon la tradition chrétienne voit ses festivités de fin d’année assombries par la guerre qui fait rage dans la bande de Gaza et les restrictions de circulation imposées par Israël en Cisjordanie occupée.
Habituellement bondée de touristes à cette période, la place de la Mangeoire, adjacente à l’emblématique église de la Nativité, est étrangement calme. Seuls résonnent les chants des moines arméniens depuis le site de la grotte de la Nativité. « Entre 3000 et 4000 personnes devraient normalement visiter quotidiennement l’église à cette date », souligne Mohammed Sabeh, un agent de sécurité. Mais les pèlerins étrangers comme les Palestiniens locaux ont déserté les lieux.
L’étau des checkpoints israéliens
En cause : les points de contrôle supplémentaires mis en place par l’armée israélienne, qui s’ajoutent à ceux déjà existants. « Les chrétiens de Ramallah ne peuvent pas venir à cause des checkpoints. Les soldats israéliens nous malmènent, c’est dangereux et ça provoque de gros bouchons », dénonce Mohammed Sabeh. Anton Salman, le maire de Bethléem, regrette ces nouvelles entraves à la circulation qui dissuadent les visiteurs potentiels.
Certains d’entre eux arriveront peut-être à venir, mais les autres vont se heurter aux barrières et aux checkpoints mis en place par Israël.
Anton Salman, maire de Bethléem
Une économie à l’arrêt
Cette situation a un impact direct sur l’économie locale, qui repose quasi exclusivement sur le tourisme. Les commerces souffrent, à l’image de la boutique de souvenirs de Joseph Giacaman, l’une des mieux placées sur la place de la Mangeoire. Le commerçant n’ouvre plus qu’une ou deux fois par semaine, pour faire le ménage. « Beaucoup de familles ont perdu leur commerce à cause de l’absence de touristes », se désole Abood, un autre gérant.
Un Noël au rabais
Face à ce marasme économique et au drame humanitaire qui se joue à Gaza, le maire Anton Salman estime qu’organiser de fastueuses célébrations de Noël ne serait pas de mise. Si des messes auront bien lieu en présence du patriarche latin de Jérusalem, les festivités se limiteront à leur dimension religieuse, sans parade ni grand rassemblement. « Nous souhaitons montrer au monde que ce n’est pas un Noël comme les autres à Bethléem », explique l’élu.
L’exode des habitants
Au-delà des touristes, ce sont les habitants eux-mêmes qui quittent Bethléem, lassés du durcissement sécuritaire et des difficultés économiques. Environ 470 familles chrétiennes auraient ainsi déménagé au cours des 12 derniers mois, principalement des jeunes qui ne voient plus d’avenir sur place. « Un nombre considérable de gens partent, surtout des jeunes qui ne peuvent pas se projeter dans l’avenir. Il n’y a plus d’espoir quand le pouvoir politique confisque votre futur », constate le père Frédéric Masson, prêtre de la paroisse locale.
Apprendre le français pour s’exiler
Un constat partagé par Fayrouz Aboud, directrice de l’Alliance française de Bethléem. De plus en plus de jeunes viennent y apprendre le français dans l’optique de s’installer à l’étranger, la perspective d’une annexion de la Cisjordanie par Israël étant régulièrement évoquée par des responsables politiques israéliens. Même le fils de Fayrouz, 30 ans, l’a suppliée : « Viens, quittons cet endroit. Ils vont venir et vont nous tuer. »
En cette période de Noël, c’est donc une ville de Bethléem dépeuplée, meurtrie et inquiète pour son avenir qui s’apprête à célébrer dans la plus grande sobriété la naissance de celui qu’on surnomme le « Prince de la Paix ». Loin des lumières et de la joie traditionnellement associées à cette fête, la cité sainte offre cette année le triste spectacle d’une ville sous tension, victime collatérale d’un conflit qui n’en finit pas.