Imaginez-vous en ce 24 décembre 1979. Vous êtes député, tranquillement en famille, préparant le réveillon de Noël. Soudain, le téléphone sonne. Au bout du fil, une voix catastrophée vous annonce une nouvelle stupéfiante : la France n’a pas de budget pour l’année 1980 qui s’apprête à débuter ! Retour sur cet épisode politique inédit.
Le Conseil constitutionnel censure la loi de finances
Quelques jours plus tôt, le Premier ministre Raymond Barre avait dû recourir en urgence à l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter son projet de loi de finances, malgré une solide majorité à l’Assemblée nationale. En cause : une fronde des députés chiraquiens qui menaçaient de ne pas voter le texte.
Saisi par des députés de l’opposition, le Conseil constitutionnel a finalement déclaré le 24 décembre que cette loi de finances était non conforme à la Constitution en raison d’un vice de forme. Stupeur générale, la France se retrouve brutalement sans budget !
Une session extraordinaire en pleine trêve des confiseurs
Face à cette situation ubuesque, le gouvernement n’a d’autre choix que de convoquer en urgence le Parlement pour une session extraordinaire, en pleines vacances de Noël. Les députés doivent adopter en quelques jours seulement une loi d’urgence permettant à minima de reconduire provisoirement le budget de 1979.
Scènes surréalistes à l’Assemblée nationale : les élus arrivent valises à la main directement de leurs lieux de villégiature. Dans l’hémicycle décoré d’un sapin, les débats se tiennent dans une ambiance électrique. « Trêve des confiseurs ou pas, nous devons assurer la continuité budgétaire du pays » tonne Raymond Barre à la tribune.
Les coulisses d’une crise politique
Mais comment en est-on arrivé là ? À l’origine de ce psychodrame, de profondes dissensions au sein de la majorité présidentielle entre les fidèles de Valéry Giscard d’Estaing et les gaullistes de Jacques Chirac. Ces derniers jugeaient le projet de budget 1980 trop « rigoureux » et voulaient imposer leurs vues.
En coulisses, les négociations se sont poursuivies jusqu’au dernier moment entre matignon et les fronts frondeurs pour tenter de trouver un compromis. Mais faute d’accord, Raymond Barre a dû se résoudre à engager sa responsabilité via le 49.3, déclenchant la colère des chiraquiens qui ont saisi le Conseil constitutionnel.
C’est un camouflet pour le gouvernement, contraint d’en passer par une session extraordinaire et une loi d’urgence votée dans la précipitation.
Un proche du Premier ministre
Epilogue et conséquences
Finalement adoptée le 27 décembre, la loi de finances rectificative pour 1980 a permis à la France d’éviter le shutdown budgétaire. Mais cet épisode laissera des traces. Il révèle la fragilité de la majorité et les profondes divergences entre giscardiens et chiraquiens.
Surtout, le recours au 49.3 sur un texte aussi crucial que le budget constitue un précédent. Désormais, les gouvernements n’hésiteront plus à utiliser cette arme constitutionnelle pour faire adopter leurs projets sans majorité claire.
Ironie de l’histoire, ces événements du réveillon 1979 préfigurent le duel qui opposera en 1981 Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac à la présidentielle, menant à la victoire de François Mitterrand. La crise budgétaire de Noël aura été le révélateur des profondes divisions de la droite française.