Imaginez : en moins de quinze jours, plus de quatre cents personnes disparaissent, arrachées à leurs familles par des groupes armés. Des écoles vidées, des villages terrifiés, des parents qui n’ont plus que la prière comme dernier espoir. C’est la réalité brutale que vit le Nigeria en cette fin d’année 2025.
Face à cette vague sans précédent, le président Bola Tinubu a décidé de frapper fort : il vient de nommer le général Christopher Musa, 58 ans, au poste stratégique de ministre de la Défense. Un retour en grâce spectaculaire pour cet officier limogé il y a à peine deux mois.
Un remaniement sous très haute tension
La nouvelle est tombée mardi soir. Dans une lettre adressée au Sénat, le président Tinubu explique avoir « entière confiance » dans les capacités du général Musa pour « renforcer l’architecture sécuritaire » du pays. Des mots forts, presque solennels, alors que le Nigeria traverse l’une des crises les plus graves de son histoire récente.
Le prédécesseur du général Musa, Mohammed Badaru Abubakar, 63 ans, a présenté sa démission pour raisons de santé. Un départ qui intervient au pire moment : le pays fait face à une explosion des enlèvements de masse, particulièrement dans le nord et le centre.
Le timing est d’autant plus troublant que Christopher Musa avait été brutalement écarté en octobre dernier, en même temps que plusieurs hauts gradés. À l’époque, les rumeurs d’une tentative de coup d’État avaient enflé, rapidement démenties par le pouvoir. Mais des sources militaires et de renseignement avaient confirmé à demi-mot l’existence d’un complot déjoué.
Qui est vraiment Christopher Musa ?
À 58 ans, le général Christopher Gwabin Musa n’est pas un inconnu. Avant son limogeage surprise, il occupait le poste le plus élevé de l’armée nigériane : chef d’état-major des armées. Un homme de terrain, respecté par les troupes, qui a passé des années à combattre Boko Haram dans le nord-est.
Son retour au premier plan ressemble à une réhabilitation express. En le nommant ministre, Bola Tinubu envoie un message clair : il a besoin d’un militaire pur jus, quelqu’un qui connaît les rouages de l’armée et les réalités du terrain. Reste à savoir si ce choix suffira à inverser la spirale de violence.
Une vague d’enlèvements qui glace le sang
Les chiffres donnent le vertige. En à peine deux semaines, plus de quatre cents personnes ont été kidnappées. Parmi elles, des centaines d’écoliers et d’enseignants. Le 21 novembre, c’est une école catholique qui a été prise pour cible : plus de trois cents élèves et membres du personnel emportés sous la menace des armes.
Ces attaques ne sont pas l’œuvre d’un seul groupe. Dans le nord-ouest et le centre, ce sont les « bandits » – des gangs criminels lourdement armés – qui sévissent. Leur seul mobile : l’argent des rançons. Plus au nord-est, les jihadistes de Boko Haram et de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap) continuent leur guerre sans merci.
Le mode opératoire est rodé : assaut éclair, souvent à moto, tirs en l’air pour terroriser, puis fuite dans la brousse avec les otages. Certains sont libérés rapidement contre paiement. D’autres restent des mois en captivité. Quelques-uns parviennent à s’échapper. Beaucoup ne reviennent jamais.
Le traumatisme Chibok, onze ans après
Pour comprendre l’angoisse qui étreint aujourd’hui les Nigérians, il faut remonter à avril 2014. Cette nuit-là, 276 lycéennes étaient enlevées à Chibok par Boko Haram. Un drame qui avait choqué le monde entier.
Onze ans plus tard, près de quatre-vingt-dix de ces jeunes filles sont toujours portées disparues. Certaines ont été mariées de force, d’autres sont mortes en captivité. Ce souvenir douloureux hante chaque nouvelle attaque contre une école.
« On a l’impression que rien n’a changé. Pire, que tout empire »
Un parent d’élève à Kaduna, novembre 2025
Un pays coupé en deux par la violence
Le Nigeria, avec ses 230 millions d’habitants, est presque parfaitement divisé entre un nord majoritairement musulman et un sud à majorité chrétienne. Cette fracture ancienne alimente parfois les tensions, même si la réalité est bien plus complexe.
Dans le nord-est, l’insurrection jihadiste a déjà fait plus de 40 000 morts et déplacé plus de deux millions de personnes depuis 2009, selon l’ONU. Dans le nord-ouest, les « bandits » ont transformé des régions entières en zones de non-droit. Au centre, les conflits entre éleveurs et agriculteurs dégénèrent souvent en massacres.
Partout, la même impuissance. Les forces de sécurité, sous-équipées et parfois corrompues, peinent à répondre. Les routes sont devenues des pièges. Les écoles ferment les unes après les autres.
État d’urgence et recrutement massif
Face à l’ampleur du désastre, le président Tinubu a décrété l’état d’urgence sécuritaire sur l’ensemble du territoire. Une mesure exceptionnelle qui donne plus de pouvoirs à l’armée et autorise des opérations d’envergure.
Parallèlement, des milliers de nouvelles recrues sont enrôlées dans la police et l’armée. Objectif : combler le manque criant d’effectifs sur le terrain. Mais former et équiper ces renforts prendra du temps. Beaucoup de temps.
La pression internationale et les accusations américaines
À l’étranger, l’inquiétude grandit. Le président américain Donald Trump a menacé d’intervenir militairement pour mettre fin à ce qu’il appelle des « meurtres de chrétiens » par des « islamistes radicaux ». Des déclarations qui ont provoqué la colère d’Abuja.
Le gouvernement nigérian rejette fermement l’idée de persécutions religieuses ciblées. Pour lui, la majorité des victimes – musulmans comme chrétiens – sont touchées par la criminalité et le terrorisme, sans distinction confessionnelle.
Cette polémique ravive cependant un débat douloureux : comment expliquer que des écoles catholiques soient parfois visées ? Simple opportunisme des bandits ou stratégie plus calculée ? Les réponses restent floues.
Le défi immense du général Musa
En acceptant le ministère de la Défense, Christopher Musa sait qu’il joue sa réputation. Il devra coordonner une armée épuisée, rétablir la confiance des troupes, et surtout obtenir des résultats rapides.
Parmi les chantiers prioritaires :
- Renforcer la présence militaire dans les zones à risque
- Améliorer le renseignement pour anticiper les attaques
- Lutter contre la corruption qui gangrène l’achat d’équipements
- Protéger les écoles et les axes routiers
- Négocier ou neutraliser les chefs de gangs
Autant de défis qui semblent insurmontables quand on connaît l’immensité du territoire et la porosité des frontières.
Un pays à la croisée des chemins
Le Nigeria n’est pas seulement le pays le plus peuplé d’Afrique. C’est aussi une puissance économique, première productrice de pétrole du continent. Pourtant, cette richesse semble incapable d’acheter la paix.
Aujourd’hui, des millions de parents hésitent à envoyer leurs enfants à l’école. Des voyageurs évitent les routes après le coucher du soleil. Des communautés entières vivent dans la peur permanente.
La nomination du général Musa est un pari. Celui d’un président acculé qui mise tout sur l’expérience militaire pour tenter de reprendre la main. Mais dans un pays où la violence a pris tant de formes différentes, la solution ne sera jamais uniquement militaire.
Entre développement économique, dialogue intercommunautaire, réforme de la justice et lutte implacable contre la corruption, le chemin est encore très long. Et chaque jour qui passe, de nouvelles familles rejoignent le cercle des victimes.
Le Nigeria retient son souffle. Le général Musa aura-t-il les moyens de ses ambitions ? Ou assisterons-nous, impuissants, à la poursuite de cette terrible spirale ? L’histoire, malheureusement, nous le dira bientôt.









