Imaginez le silence brutal d’une cour d’école vidée de ses rires. Le 21 novembre dernier, dans le village reculé de Papiri, au cœur de l’État du Niger, plus de 300 élèves et enseignants d’un établissement catholique ont été emportés par des hommes armés. Plus d’une semaine après, aucun enfant n’est rentré. Et dans ce coin du Nigeria où musulmans et chrétiens cohabitent depuis toujours, la peur commence à fissurer la paix fragile.
Un rapt qui réveille de vieilles peurs
Ces dernières années, les enlèvements de masse sont devenus une terrifiante routine au Nigeria. Mais cette fois, l’ampleur et le lieu choisi ont choqué même les plus résignés. En quinze jours seulement, plus de 400 personnes ont été kidnappées, la très grande majorité dans cet État du centre-ouest jusque-là relativement épargné par la violence la plus extrême.
Dans les églises comme dans les mosquées, on prie. Mais derrière les chants et les invocations, la colère gronde. Certains y voient la preuve d’une persécution ciblée des chrétiens. D’autres dénoncent une criminalité aveugle qui frappe sans distinction de foi. Et au milieu, des familles qui n’ont plus que l’espoir.
Papiri, village sous le choc
Papiri est un petit bourg perdu dans la brousse. L’école catholique était un symbole de réussite pour les familles chrétiennes de la zone. Le jour de l’attaque, les assaillants sont arrivés à moto, en plein matin. En quelques minutes, ils ont vidé les salles de classe.
Depuis, les images tournées par les médias locaux font mal : des mères roulant au sol en pleurs, des pères brandissant des pancartes « Nous voulons nos enfants ». Un homme de 35 ans, Samson Najajah, confie à une télévision locale qu’il imagine chaque seconde les souffrances endurées par son fils de 15 ans. Il n’a plus de nouvelles.
« Je suis extrêmement triste en pensant à la façon dont ces enfants sont détenus. Je peux imaginer les difficultés qu’ils traversent. »
Samson Najajah, père d’un adolescent enlevé
Des « bandits » aux motivations avant tout financières
Au Nigeria, on les appelle les « bandits ». Des groupes armés qui écument surtout le nord-ouest et, de plus en plus, le centre du pays. Leur objectif principal ? L’argent des rançons. Des milliers, parfois des dizaines de milliers d’euros par famille.
Ces dernières années, certains de ces gangs ont noué des liens avec les jihadistes du nord-est. Mais la majorité reste guidée par l’appât du gain plutôt que par l’idéologie. Pourtant, le choix d’une école catholique dans une zone à forte population chrétienne ravive les suspicions.
Et quand certaines voix chrétiennes locales affirment que neuf circonscriptions majoritairement chrétiennes sont particulièrement touchées, le doute s’installe.
La thèse de la persécution religieuse : vrai ou faux récit ?
Depuis plusieurs années, un discours gagne du terrain : celui d’une persécution ciblée des chrétiens au Nigeria. Un discours relayé avec force outre-Atlantique, jusqu’à placer le pays sur la liste des nations particulièrement préoccupantes en matière de liberté religieuse.
À Minna, la capitale de l’État du Niger, les avis sont tranchés.
Julius Umaru, responsable laïc catholique, n’y va pas par quatre chemins : « Les chrétiens n’ont pas la vie facile dans le nord du Nigeria. Le problème est maintenant arrivé ici. Nos gens ne peuvent plus aller aux champs. Et maintenant, ils enlèvent nos enfants. » Il admet que les musulmans sont aussi touchés, mais estime que les chrétiens le sont davantage.
Le père James David Gaza, lui, parle carrément de persécution : « C’est un fait auquel nous devons faire face. » Il appelle les leaders musulmans à condamner plus fermement les violences.
Ceux qui refusent le récit communautaire
Mais tout le monde ne partage pas cette analyse. Loin de là.
Usman Isah, musulman de Minna, est catégorique : « La plupart des communautés ravagées depuis des années par les bandits sont musulmanes. Cela montre que les criminels ne tiennent aucun compte de la religion. » Il accuse certaines déclarations internationales d’avoir « semé le chaos » avec des propos « irréfléchis ».
George Dike, chrétien installé à Minna depuis près de cinquante ans, rejette lui aussi l’idée de génocide religieux : « Il y a un effet d’entraînement dans la façon de raconter cette histoire, mettant en avant un récit qui n’est pas réel. »
Sur le terrain, les chiffres sont cruels mais clairs : les attaques touchent des villages haoussa (majoritairement musulmans), des communautés gwari, des quartiers chrétiens… La violence semble aveugle.
Un État du Niger au carrefour des violences
L’État du Niger n’est pas le nord-est ensanglanté par Boko Haram depuis quinze ans. Mais il subit désormais la contagion. Les bandits, chassés ou attirés par de nouvelles zones moins surveillées, étendent leur terrain de chasse vers le centre.
Routes bloquées, champs abandonnés, écoles fermées : la vie rurale devient impossible. Et quand les bandits frappent une école, c’est tout un système éducatif déjà fragile qui vacille.
Conséquences immédiates dans l’État du Niger :
- Fermeture temporaire de dizaines d’établissements scolaires
- Exode rural accéléré vers Minna et les grandes villes
- Difficultés d’approvisionnement alimentaire (agriculteurs effrayés)
- Mobilisation accrue des milices d’autodéfense communautaires
Entre prière collective et colère contenue
Chaque dimanche, les églises de Minna débordent. On y prie pour les enfants de Papiri. On y chante. Mais on y parle aussi de plus en plus fort. Les sermons glissent parfois vers la dénonciation. Les regards se font lourds.
Dans les mosquées, l’ambiance est différente mais pas moins tendue. On craint que le discours de la persécution ne finisse par créer exactement ce qu’il dénonce : une fracture religieuse là où, jusqu’ici, la coexistence tenait bon.
Car dans l’État du Niger, la mixité est réelle. Les quartiers se mélangent. Les mariages interconfessionnels existent. Les marchés rassemblent tout le monde. Personne n’a intérêt à ce que cela change.
Et maintenant ?
Le gouvernement fédéral promet une intervention. Mais les Nigérians savent que ces promesses ont souvent du mal à se concrétiser. Les forces de sécurité sont débordées, mal équipées, parfois corrompues.
En attendant, les familles comptent les jours. Elles réunissent l’argent des rançons quand elles le peuvent. Elles prient. Et certaines commencent à se demander si demain, envoyer un enfant à l’école ne sera pas devenu un luxe trop dangereux.
Dans ce Nigeria déjà fracturé par tant de lignes de faille – nord/sud, riches/pauvres, ruraux/urbains – la question est brutale : va-t-on laisser la criminalité créer une nouvelle fracture, religieuse cette fois ?
Pour l’instant, à Papiri comme à Minna, on prie encore ensemble. Mais pour combien de temps ?









