Imaginez la peur d’une adolescente arrachée à son dortoir en pleine nuit, le bruit des armes automatiques, les cris, puis le silence oppressant de la brousse. C’est ce qu’ont vécu vingt-quatre lycéennes de l’État de Kebbi, dans le nord-ouest du Nigeria, dans la nuit du 16 au 17 novembre dernier.
Quelques jours plus tard, un communiqué officiel annonce leur libération. Soulagement immense pour les familles, mais aussi rappel brutal : les enlèvements de masse sont devenus une terrifiante routine dans certaines régions du pays.
Une libération qui soulage… mais interroge
Le président Bola Tinubu s’est immédiatement félicité de cette issue heureuse. Dans un communiqué diffusé par son conseiller spécial Bayo Onanuga, il a salué « les efforts déployés par les forces de sécurité » pour ramener toutes les victimes à la maison.
Les faits sont glaçants. Des hommes armés ont pris d’assaut l’école pour filles de Maga, dans l’État de Kebbi. Le directeur-adjoint, Hassan Makuku, a été abattu alors qu’il tentait probablement de protéger ses élèves. Vingt-cinq lycéennes ont été emmenées dans la nature. L’une d’elles a réussi à s’échapper rapidement. Les vingt-quatre autres ont été retrouvées saines et sauves quelques jours plus tard.
« Le président Tinubu a félicité les forces de sécurité pour tous les efforts déployés afin d’assurer la libération de toutes les victimes enlevées par les terroristes. »
Communiqué officiel de la présidence nigériane
Un enlèvement parmi des dizaines d’autres
Mais l’affaire de Maga n’est malheureusement pas isolée. Elle s’inscrit dans une série inquiétante qui a frappé le Nigeria en l’espace de quelques jours seulement.
Quelques exemples récents :
- Plus de 300 élèves et enseignants kidnappés dans une école catholique à Papiri (État de Niger)
- 38 fidèles enlevés dans une église à Eruku (État de Kwara)
- 13 jeunes filles emportées dans l’État de Borno
- 10 villageois kidnappés dans l’État de Kwara, le soir même du 17 novembre
En quelques semaines à peine, plusieurs centaines de personnes ont disparu, souvent sans revendication claire. Un phénomène qui rappelle cruellement l’enlèvement des 276 lycéennes de Chibok par Boko Haram en 2014, qui avait choqué le monde entier.
Qui sont les ravisseurs ?
Dans le nord-ouest et le centre du Nigeria, les auteurs de ces crimes ne sont pas toujours des jihadistes. On parle souvent de « bandits », des gangs criminels lourdement armés qui écument les villages, volent le bétail, pillent, tuent et surtout enlèvent contre rançon.
Ces groupes opèrent dans une zone immense, mal contrôlée, où l’État peine à faire respecter l’ordre. L’État de Kebbi, coincé entre la menace jihadiste venue du Niger voisin et ces bandes criminelles, illustre parfaitement cette double pression.
Leur motivation première ? L’argent. Les rançons exigées varient de quelques centaines à plusieurs dizaines de milliers de dollars par otage. Certaines familles s’endettent à vie pour récupérer un proche.
Une insécurité à deux visages
Le Nigeria vit depuis plus de quinze ans avec deux grandes formes d’insécurité violente.
Dans le nord-est, l’insurrection jihadiste menée par Boko Haram puis par l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP) a déjà fait plus de 40 000 morts et déplacé plus de deux millions de personnes. Les attaques sont idéologiques, les cibles souvent symboliques.
Dans le nord-ouest et le centre, les « bandits » agissent avant tout pour l’enrichissement rapide. Mais la frontière entre criminalité pure et terrorisme devient parfois floue : certains groupes prêtent allégeance à des organisations jihadistes pour obtenir armes et protection.
À retenir : Le Nigeria fait face à une criminalité opportuniste dans le nord-ouest et à une guerre idéologique dans le nord-est. Les deux phénomènes s’alimentent mutuellement et fragilisent tout le pays.
Pourquoi maintenant ?
Plusieurs facteurs expliquent cette recrudescence spectaculaire.
D’abord, la saison sèche facilite les déplacements dans la brousse. Ensuite, la pauvreté extrême pousse certains jeunes à rejoindre ces gangs qui promettent argent rapide et pouvoir.
Mais il y a aussi un problème structurel profond : le Nigeria compte environ 370 000 policiers pour plus de 230 millions d’habitants. Jusqu’à récemment, près d’un quart de ces effectifs était détaché à la protection personnelle de politiciens et de personnalités influentes.
Face à la pression populaire, le président Tinubu a ordonné la réaffectation de ces agents vers des missions de sécurité publique. Un premier pas, mais qui demandera du temps pour porter ses fruits.
Que font les autorités ?
La libération des 24 lycéennes de Maga a été présentée comme une victoire des forces de sécurité. Pourtant, les détails de l’opération restent flous : négociation avec paiement de rançon ? Intervention militaire ? Les communiqués officiels parlent simplement d’« efforts déployés ».
Dans de nombreux cas passés, des rançons ont été payées discrètement, parfois avec l’aide d’intermédiaires communautaires ou religieux. Une pratique que les autorités nient officiellement mais que de nombreuses familles confirment.
En parallèle, l’armée mène régulièrement des opérations dans les forêts où se cachent ces groupes. Des camps sont démantelés, des armes récupérées, mais les bandits se dispersent et se reconstituent ailleurs.
Un pays divisé, une peur partagée
Le Nigeria, avec ses 230 millions d’habitants, reste profondément clivé entre un nord majoritairement musulman et un sud à majorité chrétienne. Certains enlèvements, comme celui de l’église d’Eruku ou de l’école catholique de Papiri, ravivent les tensions communautaires.
Récemment, l’ancien président américain Donald Trump avait menacé d’une intervention militaire au Nigeria pour, selon lui, protéger les chrétiens victimes de « terroristes islamistes ». Une déclaration qui avait suscité de vives réactions à Abuja.
Mais sur le terrain, la réalité est plus complexe : les « bandits » enlèvent aussi bien des musulmans que des chrétiens, des écoles coraniques que des églises. La motivation reste majoritairement financière.
Et demain ?
La libération des lycéennes de Kebbi est une bonne nouvelle. Mais elle ne doit pas masquer l’ampleur du défi.
Des centaines de personnes restent captives à l’heure où vous lisez ces lignes. Des familles entières sont ruinées par les rançons. Des enfants n’osent plus aller à l’école.
Pour que de telles histoires ne se répètent plus, il faudra bien plus que des communiqués triomphants : une présence renforcée de l’État dans les zones rurales, des programmes de développement, une justice qui fonctionne, et surtout une volonté politique ferme de s’attaquer aux racines du problème.
En attendant, dans les villages du nord-ouest, chaque soir apporte son lot d’angoisse. Et chaque matin, l’espoir fragile qu’aucune école ne sera la prochaine cible.
Le Nigeria mérite mieux que cette spirale de violence.
Derrière chaque libération célébrée, il y a des centaines d’histoires qui finissent mal. Il est temps que cela change.









