Imaginez la nuit tomber sur un internat paisible du nord-ouest du Nigeria. Les filles dorment, certaines révisent encore à la lueur d’une lampe. Et soudain, des coups de feu, des cris, des hommes armés qui surgissent dans les dortoirs. En quelques minutes, vingt-cinq adolescentes sont emportées dans l’obscurité. C’est ce qui s’est passé dans la nuit du 16 au 17 novembre dernier à Maga, dans l’État de Kebbi.
Une libération qui soulage, mais qui ne rassure pas
La bonne nouvelle est tombée mardi : vingt-quatre des vingt-cinq lycéennes enlevées ont retrouvé la liberté. L’une d’entre elles avait réussi à s’échapper dès les premières heures de la prise d’otages, profitant de l’obscurité et de la confusion. Les autorités ont confirmé que les autres ont été libérées grâce à l’intervention des forces de sécurité nigérianes.
Le président Bola Tinubu s’est immédiatement félicité de cette issue positive. Dans un communiqué officiel, il a salué le travail des militaires et des services de renseignement grâce auxquels « toutes les victimes enlevées par les terroristes » ont pu rentrer chez elles. Le ton est volontairement optimiste, mais la réalité sur le terrain reste extrêmement préoccupante.
Que s’est-il réellement passé à Maga ?
L’attaque a été rapide et violente. Vers minuit, des hommes lourdement armés ont pris d’assaut l’école pour filles de Maga. Le directeur-adjoint de l’établissement, Hassan Makuku, a tenté de s’interposer. Il a été abattu froidement. Les assaillants ont ensuite rassemblé les lycéennes et les ont emmenées dans la brousse.
Ces attaques ne sont malheureusement pas isolées. Elles suivent un schéma bien connu dans le nord du Nigeria : des groupes criminels, souvent appelés « bandits », ciblent les écoles, surtout les internats, pour enlever des dizaines, parfois des centaines de jeunes en même temps. L’objectif ? Obtenir des rançons colossales ou faire pression sur les autorités.
« Le président Tinubu a félicité les forces de sécurité pour tous les efforts déployés afin d’assurer la libération de toutes les victimes enlevées par les terroristes »
Communiqué de la présidence nigériane
Une vague d’enlèvements sans précédent en quelques jours
L’enlèvement de Maga n’est que la partie émergée d’un iceberg particulièrement inquiétant. En moins d’une semaine, plus de 350 personnes ont été kidnappées à travers plusieurs États du nord et du centre du pays.
Parmi les autres drames récents :
- Une attaque similaire à Eruku, dans l’État de Kwara
- Un enlèvement massif à Papiri, dans l’État de Niger
- La prise d’otages de plus de 300 élèves et enseignants dans deux écoles, dont l’école catholique Saint Mary
- L’enlèvement de fidèles dans une église
Ces chiffres donnent le vertige. On parle de plusieurs centaines de civils, majoritairement des enfants et des adolescents, arrachés à leur quotidien en quelques jours seulement.
Entre jihadistes et « bandits » : un État de Kebbi pris en étau
L’État de Kebbi se trouve à la croisée de deux menaces distinctes mais tout aussi mortelles. Au nord, la frontière poreuse avec le Niger laisse passer des groupes jihadistes affiliés à l’État islamique ou à d’autres factions extrémistes. Au sud et à l’ouest, ce sont les « bandits », ces gangs criminels lourdement armés qui écument la région depuis des années.
Ces bandits ne revendiquent aucune idéologie politique ou religieuse. Leur seul moteur : l’argent. Ils pillent les villages, volent le bétail, imposent des taxes illégales et, surtout, pratiquent l’enlèvement contre rançon à une échelle industrielle.
Leur mode opératoire est rodé : attaques nocturnes, utilisation de motos pour se déplacer rapidement dans la brousse, prise d’otages en grand nombre pour multiplier les négociations de rançon. Des familles entières se retrouvent parfois ruinées pour libérer un seul enfant.
Un traumatisme national qui dure depuis plus de dix ans
Pour comprendre l’ampleur du choc, il faut remonter à 2014. Cette année-là, le groupe jihadiste Boko Haram avait enlevé 276 lycéennes à Chibok, dans l’État de Borno. L’affaire avait fait le tour du monde. Le hashtag #BringBackOurGirls était devenu viral.
Dix ans plus tard, plus d’une centaine de ces « filles de Chibok » manquent toujours à l’appel. Certaines ont été retrouvées, souvent mères de force, profondément traumatisées. D’autres ont été tuées ou sont portées disparues à jamais.
Malheureusement, l’enlèvement de Chibok n’a été ni le premier ni le dernier. Depuis 2014, des milliers d’enfants et d’adolescents ont été kidnappés à travers le Nigeria. Les écoles sont devenues des cibles privilégiées, au point que de nombreux parents hésitent à envoyer leurs filles étudier loin de chez eux.
Pourquoi les écoles sont-elles si vulnérables ?
Plusieurs facteurs expliquent cette vulnérabilité chronique :
- Beaucoup d’internats sont situés en zone rurale, loin des garnisons militaires
- Les établissements manquent cruellement de moyens de protection (murs, gardiens armés, éclairage)
- Les effectifs importants facilitent les enlèvements de masse
- Les routes d’accès sont souvent en mauvais état, ce qui ralentit l’arrivée des secours
- Dans certaines régions, la complicité ou la peur empêche la population de signaler les mouvements suspects
Résultat : une école peut être vidée de ses élèves en moins d’une heure, sans que personne n’ait le temps d’intervenir.
Que font vraiment les autorités ?
La libération des 24 lycéennes de Maga a été présentée comme une victoire des forces de sécurité. Mais de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer l’absence de stratégie à long terme.
Les opérations militaires ponctuelles permettent parfois de libérer des otages, mais elles ne mettent pas fin au cycle de violence. Les bandits se replient dans la brousse, attendent que la pression redescende, puis recommencent.
Certains observateurs pointent aussi le paiement régulier de rançons – parfois par les familles, parfois, selon des rumeurs persistantes, avec la complicité ou la tolérance des autorités locales – qui alimente le cercle vicieux.
Et maintenant ?
Les 24 lycéennes libérées vont avoir besoin d’un suivi psychologique important. Elles ont vécu l’impensable : la peur, la marche forcée dans la brousse, l’incertitude totale sur leur sort. Certaines ont peut-être assisté à des scènes de violence insoutenables.
Pour leurs familles, c’est un immense soulagement. Mais aussi une question lancinante : comment protéger les enfants demain ? Beaucoup de parents, dans le nord du Nigeria, se demandent s’ils vont oser renvoyer leurs filles à l’école après les vacances.
La libération des lycéennes de Maga est une lueur d’espoir dans un ciel bien sombre. Elle montre que, parfois, les forces de l’ordre parviennent à agir efficacement. Mais tant que la racine du problème – l’impunité des groupes armés, la pauvreté extrême, l’absence d’État dans de vastes zones rurales – ne sera pas traitée, d’autres internats trembleront dans la nuit.
Le Nigeria, géant démographique d’Afrique de l’Ouest, reste confronté à une équation terriblement complexe : comment assurer la sécurité de 220 millions d’habitants quand une partie du territoire échappe encore au contrôle total de l’État ? La réponse, pour l’instant, reste en suspens.
En attendant, vingt-quatre jeunes filles vont pouvoir serrer leur mère dans leurs bras. Et c’est déjà une immense victoire sur l’obscurité.









