Imaginez un pays riche en ressources naturelles, mais au cœur d’un bras de fer géopolitique où chaque décision peut bouleverser les équilibres mondiaux. C’est le cas du Niger, qui vient de prendre une mesure audacieuse : la nationalisation de la Somaïr, une filiale du géant français de l’uranium, Orano. Cette annonce, faite par le régime militaire au pouvoir, marque un tournant dans les relations déjà tendues entre Niamey et Paris. Mais que signifie cette décision pour le Niger, pour la France, et pour le marché mondial de l’uranium ? Plongeons dans les détails de ce dossier brûlant.
Un Contexte de Tensions Géopolitiques
Depuis le coup d’État de 2023, le Niger a radicalement changé de cap. Le régime militaire, qui a renversé le gouvernement précédent, a pris ses distances avec la France, son ancien partenaire colonial, pour se tourner vers de nouveaux alliés comme la Russie ou l’Iran. Cette réorientation s’accompagne d’une volonté affirmée de reprendre le contrôle des ressources nationales, en particulier l’uranium, une richesse stratégique pour ce pays sahélien.
La Somaïr, société minière exploitant l’uranium au Niger, est au centre de cette bataille. Détenue majoritairement par Orano, une entreprise contrôlée à plus de 90 % par l’État français, elle symbolise l’influence française dans la région. Mais pour Niamey, cette présence est désormais perçue comme un obstacle à la souveraineté nationale. La nationalisation, annoncée en conseil des ministres, traduit cette volonté de rupture.
Face au comportement irresponsable, illégal et déloyal d’Orano, société détenue par l’État français, un État ouvertement hostile au Niger, l’État du Niger décide en toute souveraineté de nationaliser la Somaïr.
Télévision nationale nigérienne
Pourquoi l’Uranium est-il si Stratégique ?
L’uranium est bien plus qu’une simple ressource. Utilisé principalement pour alimenter les centrales nucléaires, il est au cœur de la production d’énergie dans de nombreux pays, dont la France. Le Niger, avec ses vastes réserves, est un acteur clé sur ce marché. Parmi ses gisements, celui d’Imouraren se distingue, avec des réserves estimées à 200 000 tonnes, l’un des plus importants au monde.
Pour la France, l’accès à l’uranium nigérien est crucial. Orano, anciennement Areva, a longtemps exploité ces gisements à travers des partenariats avec l’État nigérien. Mais les relations se sont détériorées, marquées par des accusations mutuelles. Niamey reproche à Paris des pratiques néocoloniales et même un soutien à des groupes terroristes, bien que ces allégations restent sans preuves concrètes. De son côté, Orano déplore la perte de contrôle opérationnel de ses filiales, un revers majeur pour l’entreprise.
L’uranium nigérien représente environ 5 % de la production mondiale, mais son importance stratégique dépasse largement ce chiffre, notamment pour l’industrie nucléaire française.
La Nationalisation de la Somaïr : Une Décision Symbolique
La nationalisation de la Somaïr n’est pas seulement une question économique, c’est aussi un acte politique fort. En transférant l’intégralité des actions et du patrimoine de la société à l’État nigérien, le régime militaire envoie un message clair : le Niger entend reprendre la main sur ses ressources. Cette décision s’accompagne d’une promesse d’indemnisation pour les actionnaires, mais les détails restent flous, et les tensions avec Orano risquent de s’intensifier.
Depuis plusieurs mois, la situation s’était déjà dégradée. En décembre 2024, Orano avait officiellement reconnu la perte de contrôle opérationnel de ses trois filiales au Niger : la Somaïr, la mine de Cominak (fermée depuis 2021) et le gisement d’Imouraren. Cette perte de contrôle s’est accentuée en juin 2024, lorsque Niamey a retiré à Orano son permis d’exploitation pour Imouraren, une décision qui a précipité l’escalade du conflit.
Les Répercussions Économiques et Internationales
La nationalisation de la Somaïr pourrait avoir des conséquences majeures, tant pour le Niger que pour ses partenaires internationaux. Pour le Niger, cette décision pourrait renforcer son autonomie économique, mais elle comporte des risques. La gestion des mines d’uranium nécessite des investissements massifs et une expertise technique que le pays pourrait avoir du mal à mobiliser seul. De plus, la perte de partenaires comme Orano pourrait compliquer l’accès aux marchés internationaux.
Pour la France, la nationalisation représente un coup dur. L’uranium nigérien alimente une partie de son industrie nucléaire, et la perte d’accès à ces ressources pourrait pousser Paris à diversifier ses sources d’approvisionnement, un processus coûteux et complexe. Orano, de son côté, a engagé plusieurs procédures d’arbitrage international contre le Niger, notamment après la perte de contrôle de la Somaïr en janvier 2025. Ces recours juridiques pourraient prolonger le conflit sur la scène internationale.
| Aspect | Impact pour le Niger | Impact pour la France |
|---|---|---|
| Économie | Reprise de contrôle des ressources | Perte d’accès à l’uranium nigérien |
| Géopolitique | Affirmation de la souveraineté | Tensions accrues avec Niamey |
| Marché mondial | Possible perte de compétitivité | Recherche de nouveaux fournisseurs |
Un Tournant pour les Relations Franco-Nigériennes
Les relations entre la France et le Niger n’ont jamais été aussi tendues. Le régime militaire nigérien accuse régulièrement Paris de vouloir déstabiliser le pays, une rhétorique qui alimente le sentiment anti-français dans la région. La nationalisation de la Somaïr s’inscrit dans cette logique de rupture, mais elle soulève aussi des questions sur l’avenir des partenariats internationaux du Niger.
En se rapprochant de la Russie et de l’Iran, Niamey cherche à diversifier ses alliances. Cependant, ces nouveaux partenaires pourront-ils compenser la perte d’expertise et d’investissements français ? Rien n’est moins sûr. La Russie, par exemple, a ses propres intérêts dans l’uranium, mais ses capacités à soutenir le Niger dans la gestion des mines restent incertaines.
Quels Scénarios pour l’Avenir ?
La nationalisation de la Somaïr ouvre la voie à plusieurs scénarios possibles. Voici les principaux enjeux à surveiller :
- Stabilité économique : Le Niger parviendra-t-il à maintenir la production d’uranium sans le soutien d’Orano ?
- Relations internationales : La France intensifiera-t-elle ses recours juridiques ou cherchera-t-elle une solution diplomatique ?
- Nouveaux partenariats : La Russie ou l’Iran deviendront-ils des acteurs majeurs dans l’exploitation de l’uranium nigérien ?
- Impact mondial : Cette nationalisation pourrait-elle influencer d’autres pays producteurs d’uranium à suivre l’exemple du Niger ?
Chaque scénario comporte son lot d’incertitudes. Pour le Niger, l’enjeu est de transformer cette nationalisation en une opportunité de développement, tout en évitant l’isolement sur la scène internationale. Pour la France, il s’agit de préserver ses intérêts économiques tout en gérant une relation diplomatique de plus en plus complexe.
Un Symbole de Souveraineté
En définitive, la nationalisation de la Somaïr est bien plus qu’une simple transaction économique. Elle incarne la volonté du Niger de reprendre le contrôle de son destin, dans un contexte où les ressources naturelles sont devenues un enjeu de pouvoir mondial. Mais ce choix audacieux pourrait avoir un coût, tant pour Niamey que pour Paris.
Alors que le Niger tourne une page de son histoire, les regards se tournent vers l’avenir. Comment ce pays parviendra-t-il à exploiter ses richesses tout en naviguant dans un environnement géopolitique complexe ? La réponse pourrait redéfinir non seulement les relations franco-nigériennes, mais aussi l’équilibre des forces dans la région du Sahel.
