C’est avec une immense tristesse que le monde du théâtre et du cinéma a appris le décès de Niels Arestrup ce dimanche, à l’âge de 75 ans. Comédien de génie, metteur en scène inspiré et dramaturge talentueux, il laisse derrière lui un héritage artistique considérable, fruit d’une carrière longue de plus de cinq décennies.
Un parcours jalonné de rencontres décisives
Né en 1949 à Montreuil d’un père danois et d’une mère française, Niels Arestrup se passionne très tôt pour l’art dramatique. Après des études au lycée, il s’inscrit dans un cours de théâtre et fait ses premiers pas sur les planches, tout en décrochant des seconds rôles au cinéma. Sa carrière prend un tournant décisif en 1974, lorsqu’il est choisi pour incarner le secrétaire de Trotski dans « Stavisky » d’Alain Resnais, aux côtés de Jean-Paul Belmondo.
Mais c’est surtout sa rencontre avec Peter Brook qui va marquer un point d’orgue dans son parcours théâtral. En 1981, le metteur en scène britannique lui confie un rôle dans sa version de « La Cerisaie » de Tchekhov, montée au théâtre des Bouffes du Nord à Paris. Cette expérience servira de tremplin à Niels Arestrup, qui enchaîne dès lors les grands rôles du répertoire classique et contemporain.
À l’aise dans tous les registres
Comédien caméléon, Niels Arestrup passe avec une aisance déconcertante de Dostoïevski à Genet, de Strindberg à Tchekhov. Sa présence magnétique et son charisme brut font merveille sur scène, où il livre des interprétations d’une rare intensité. Mais il excelle aussi dans des registres plus légers, comme en témoigne son rôle dans la pièce « Beyrouth Hôtel » qu’il met en scène en 2008.
Au cinéma, il campe souvent des personnages trouble, des « salauds » dont il parvient à révéler l’humanité cachée. Il faudra attendre 2005 et sa rencontre avec Jacques Audiard pour que son talent soit pleinement reconnu du grand public. Grâce à son interprétation magistrale d’un parrain de la pègre dans « De battre mon cœur s’est arrêté », il décroche le César du meilleur second rôle, qu’il obtiendra à nouveau quatre ans plus tard pour « Un prophète ». En 2013, c’est dans la peau d’un haut fonctionnaire cynique, dans « Quai d’Orsay », qu’il séduit à nouveau l’Académie des César.
Un tempérament de feu sous des airs de nounours
Derrière ses airs bourrus et son physique massif, Niels Arestrup cachait un tempérament volcanique qui lui a parfois joué des tours. En 1983, une gifle donnée à Isabelle Adjani pendant les répétitions de « Mademoiselle Julie » fait scandale. Treize ans plus tard, c’est au tour de Myriam Boyer d’en faire les frais sur le tournage de « Qui a peur de Virginia Woolf ? ».
Mais avec l’âge, l’homme s’est assagi. La naissance de ses jumeaux en 2011, à 62 ans, a été pour lui une révélation. « Pour envisager d’avoir des enfants, il a fallu que je sois très amoureux, que j’arrive à un moment de mon existence où je suis enfin stabilisé », confiait-il dans Paris Match en 2014. Son mariage avec la comédienne Isabelle Le Nouvel, qui partageait sa vie depuis de longues années, a aussi contribué à apaiser ses démons intérieurs.
Une bête de scène jamais rassasiée
Jusqu’à son dernier souffle, Niels Arestrup aura vécu pour et par son art. Poète fou de littérature, il prêtait régulièrement sa voix grave et profonde à des lectures publiques. Ces dernières années, on a ainsi pu l’entendre déclamer les « Lettres à un jeune poète » de Rilke, un texte qui lui tenait particulièrement à cœur.
Dramaturge à ses heures, il a signé plusieurs pièces, dont « Le temps des cerises », interprétée en 2008 par Cécile de France et Eddy Mitchell. Mais c’est surtout en tant que metteur en scène qu’il a donné la pleine mesure de son talent, notamment avec des œuvres intimistes comme « Big Apple » (2014), portée par son épouse Isabelle Le Nouvel.
Tous mes incendies.
– Niels Arestrup, titre de son autobiographie parue en 2005
Le titre de son autobiographie, parue en 2005, résume à lui seul le feu intérieur qui n’a cessé d’animer Niels Arestrup. Un feu qu’il a su maîtriser et sublimer au fil des années pour en faire le moteur de son art, sur les planches comme à l’écran. Sa disparition laisse un grand vide, mais son œuvre immense lui survivra et continuera longtemps d’inspirer les générations futures de comédiens et de metteurs en scène.